« The Evening » mise en scène Richard Maxwell, au Théâtre des Amandiers dans le cadre du Festival d’automne

Article de Marianne Guernet-Mouton

Le combat des oubliés

Les oubliés, les laissés pour compte, les loosers, tels sont les personnages de Richard Maxwell, célèbre metteur en scène new-yorkais partisan d’un théâtre expérimental très acerbe. The Evening est traversé par l’intérêt porté par l’auteur à « La divine comédie » de Dante tout en étant marqué par la mort récente de son père qui pèse sur la pièce.

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© New York City

Béatrice, qui travaille dans un bar quelconque et reculé des Etats-Unis, le seul endroit bien selon les personnages, est serveuse et prostituée, objet de fantasme de ses deux clients du soir et seuls hommes de sa vie qui pourtant, semble valoir la peine d’être vécue. Comme Richard Maxwell, elle a perdu son père et raconte ses derniers jours, alors qu’un jeune homme manifestement dévasté par la vie et le combat, free fighter convalescent, vient lui arracher un baiser, bientôt rejoint par un agent corrompu aux airs planants. Autour d’une pizza et d’alcool, ils parlent de combat, ils sont blasés mais peut-être heureux. Ils regardent la télévision, le silence est une composante importante de cette pièce où l’on ne se détache pas de Béatrice, qui formule le doux rêve de partir pour Istanbul, le nouveau Moscou d’une pièce aux ambiances chères à Tchékhov. Toujours sur le même ton et les mêmes attitudes, vêtue d’une tenue excentrique, cette jeune femme au tempérament calme rêve d’autre chose, du contraire d’ici dit-elle face aux deux hommes désemparés par ce désir d’ailleurs. Plus qu’un endroit en particulier, Béatrice est égarée, comment faire quand les gens nous manquent ? Où aller ?

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© New York City

Pour Richard Maxwell, il s’agit d’explorer ce lieu qu’est l’enfer, réel et concret chez Dante, devenu un bar sordide que la jeune femme veut fuir, en quête de rédemption. Du début à la fin, ils parlent peu, ils se parlent sans vraiment s’écouter. Le sportif s’injecte des stéroïdes tout en essayant de dire ses sentiments à Béatrice, il dit l’aimer, campé sur des dollars recouvrant le sol, ceux qui pourtant, servent toujours à la payer. Ensemble, ils ne sont pas déprimés, mais seuls, oubliés, il ne sait pas lui dire qu’il veut qu’elle reste. En parallèle de ce jeu, de ces êtres qui sont là, présents au monde sans que cela signifie une chose particulière conformément au souhait du metteur en scène, un groupe de musique fait irruption dans ce bar et joue des morceaux de rock, au fil de la pièce, on se rend compte que les paroles ne paraissent avoir aucun lien avec la gravité des situations, notamment lorsque Béatrice sort un pistolet et tire sur les deux hommes. Ce décalage entre le jeu et l’ambiance sonore semble pourtant faire sens, comme si les paroles des chansons renvoyaient à ce que les personnages aimeraient pouvoir se dire sans parvenir à le faire.

Pour ces indésirables, ces exclus qui semblent vivre dans un monde vide mais plein d’ordures, de chaises cassées, tout tourne en rond. Il est question du temps, d’amour, du manque de ceux qu’on a perdus et qui nous laissent face à la mort, il est question de vivre pour un dernier combat achevé par une image finale très esthétique. Alors que le décor s’ouvre sur Béatrice et sa valise, de la fumée remplie la scène, comme par magie, elle disparaît parmi les nuages. Si de prime abord le spectacle de Richard Maxwell est plutôt hermétique, il marque par les images créées et le désespoir de personnages encore malgré tout, plein d’espoir.

 

The Evening

Des New York City Players

Mise en scène Richard Maxwell

Avec Cammisa Buerhaus, Jim Fletcher et Brian Mendes, musiciens, James Moore, Andie Springer, David Zuckerman.

 

Du 12 au 19 octobre 2016

 

Théâtre des Amandiers, Nanterre, Centre dramatique national

7, avenue Pablo Picasso

92000 Nanterre

http://www.nanterre-amandiers.com/