« THE IMPORTANCE OF BEING EARNEST » Accords parfaits du nonsense théâtral et lyrique : à savourer

Prenez huit personnages en perruques, chacun d’une couleur de la tête aux pieds, répondant ton sur ton aux pastels du décor kitsch et imposant qui les entoure et tranchant avec le magnifique théâtre à l’italienne de l’Athénée, théâtre Louis-Jouvet. Ces héros pimpants et poudrés semblent comme soufflés d’un grimoire et vont s’animer comme par magie au fur et à mesure de cette aventure rocambolesque au cœur de l’Angleterre victorienne. Ajoutez à cela la finesse de l’écriture, l’ironie et les répliques bien affûtées de l’écrivain irlandais Oscar Wilde dans sa dernière pièce The Importance of Being Earnest (L’Importance d’être Constant) où le quiproquo de l’intrigue est fondé sur le prénom du personnage principal Earnest (Constant en français), frère imaginaire de Jack (diminutif de John). Cette comédie théâtrale inspira l’œuvre de son compatriote et contemporain, le compositeur Gerald Barry, un opéra-comique en 3 actes créé en 2011, accompagné ce soir par l’Orchestre de chambre fribourgeois sur une mise en scène et scénographie de Julien Chavaz. Des voix et un jeu remarquables et des mélodies qui se savourent comme des bonbons acidulés. Avec un humour grinçant et une vitalité incroyable, ces artistes de talent nous emportent avec eux et nous font passer de très bons moments. La recette du bonheur assurément que l’on prend avec soi volontiers et qui donne envie d’y revenir !

Écrite en 1895 à Londres, cette célèbre pièce d’Oscar Wilde dépeint les travers de la société victorienne de la fin du 19ème siècle : l’hypocrisie, le poids des obligations sociales, le besoin de paraître dans des tenues exubérantes et de briller aux yeux de tous, l’art de se montrer où il faut quand il faut et bien sûr maîtriser le verbe comme savait si bien le faire le dramaturge qui se complaisait dans ces élégances mondaines. Wilde part aux États-Unis en 1881 où il donna une série de conférences sur « l’esthétisme britannique ». Il avait déjà le sens aigu de ce qu’on appellerait aujourd’hui les « relations publiques ».
L’histoire : deux amis célibataires, le dandy Algernon Moncrieff (Ed Ballard) et le non moins élégant fiable Jack Worthing (Timur) mènent deux vies à la Cour puisque pour fuir leurs obligations sociales, familiales et professionnelles et dissimuler le secret de leur naissance ou prénom véritable, ils emploient tous deux le même stratagème et le découvrent par hasard. Jack, qui réside à la campagne s’est inventé un frère débauché prénommé Earnest et vivant à Londres ce qui lui permet d’échapper à la lourde charge que lui confère l’éducation de sa pupille Cecily Cardew (Alison Sherzer). À l’inverse, son ami Algernon vivant à Londres, a imaginé un ami invalide nommé Bunbury, dont la santé fragile constitue un excellent prétexte pour échapper aux corvées mondaines de la capitale. À Londres, Jack sous l’identité d’Earnest projette d’épouser l’exquise Gwendoline Fairfax (Nina van Essen) qui est aussi la cousine d’Algernon. Tandis que ce dernier se rend dans la maison de campagne de Jack en se faisant passer pour Earnest, il s’éprend de la belle Cecily et décide très vite de se fiancer avec elle. Le retour inattendu de Jack porte les deux galants à mesurer les conséquences tumultueuses de leurs tromperies… La rencontre des jeunes femmes promises toutes deux à un certain Earnest pourrait être explosive ! Comptez sur la formidable Lady Bracknell (Graeme Danby), la tante de Gwendoline qui mène d’une main de maître cette belle équipée avec aussi la pétillante Miss Prism (Jessica Walter), le révérend Dr Chasuble (Steven Beard) et un majordome lunaire (Vincent Casagrande), des personnages hauts en couleur et c’est bien le cas de le dire.

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© Diane Deschenaux

Créée en 2013 dans sa version scénique à l’Opéra de Nancy, cette adaptation séduit à plusieurs titres. D’abord par l’association d’artistes qui ont su rendre la sensibilité et la fantaisie de l’auteur et faire résonner admirablement bien le texte à travers cette forme, un opéra-comique où les scènes chantées alternent avec des dialogues parlés (avec des apartés au public). La partition du compositeur irlandais Gerald Barry joue avec les personnages, les met en tensions ou en mouvements tout comme le nonsense à l’anglaise souligné de façon prodigieuse par les instruments sous la direction musicale de Jérôme Kuhn. Et la mise en scène inventive de Julien Chavaz élaborée dans les moindres détails brille par son esthétique, ses séquences drôlissimes où absurde et spirituel se mêlent étonnamment, ponctuées d’effets de surprise qui maintiennent le rythme et gardent le spectateur en haleine. Ce savant dosage donne au langage et à la musique tout son éclat et sa puissance avec la dramaturgie intense de Anne Schwaller. La scénographie par ses éléments de décor minimalistes célèbre une époque et l’art de vivre british (salon de thé, réfrigérateur, charrette anglaise,…). Une véritable performance vocale et scénique menée par des acteurs-chanteurs attachants et décalés à l’aise en toutes circonstances (chœur, chants saccadés ou au débit impressionnant, pantomimes, chorégraphies) et qui forcent à l’envi les traits de leurs personnages.
L’œuvre d’Oscar Wilde était déjà en avance sur son temps car le théâtre de l’absurde de Ionesco ou Beckett n’avait pas encore vu le jour. Cette création contemporaine ose tout jusqu’à l’excès, un duel au mégaphone des fiancées dupées, des bris de vaisselle retentissants, une tante Augusta autoritaire et pleine d’esprit interprété par Graeme Danby en rôle de travesti. Voilà un ensemble harmonieux et poétique à ne pas manquer !

Informations pratiques

Auteur(s)
Gerald Barry
d’après Oscar Wilde

Mise en scène
Julien Chavaz
Direction musicale
Jérôme Kuhn
avec l’ Orchestre de chambre fribourgeois

Avec
Alison Scherzer, Steven Beard, Nina van Essen, Graeme Danby, Timur, Ed Ballard, Jessica Walker, Vincent Casagrande

Scénographie Julien Chavaz et Séverine Besson
Costumes Séverine Besson
Lumières Eloi Gianini
Chorégraphie Nicole Morel
Dramaturgie Anne Schwaller
Chefs de chant Stephanie Gurga, Silvia Fraser
Assistante à la mise en scène Lauriane Tissot
Constructeur des décors Yves Besson
Peintures Lola Sacier et Valérie Margot
Directeur technique Alain Menétrey
Technique Jakub Dlab

Dates
Du 16 au 24 mai 2019

Durée
1h30

Adresse
Athénée Théâtre Louis-Jouvet
Square de l’Opéra Louis-Jouvet
7, rue Boudreau
75009 Paris

Informations complémentaires
athenee-theatre.com