Adapter en moins de cinq heures son propre roman de plus de six cents pages : c’est le défi que s’est lancé Olivier Py avec son nouveau spectacle, présenté à la FabricA. Dans cette grande fresque théâtrale se mélangent le sublime et le médiocre, au coeur d’un Paris où se côtoient mille esprits fantoches en quête d’une révolution déjà désillusionnée, entre les sommets vaniteux d’un milieu de la culture hypocrite et cruel, et les bas-fonds des faubourgs où queers et prostitué.e.s se débattent pour des jours meilleurs. Au centre de ce microcosme parisien qui se rêve mégacosme, une figure : celle d’Aurélien, jeune metteur en scène hédoniste et arriviste lancé à la conquête de cet impitoyable monde.
Le décor, frappant, est celui d’immeubles haussmaniens mouvants sur un sol en damier : Paris comme un jeu d’échecs géant où seul un coup sépare la gloire de la chute. Cependant, non contents de ce très vaste terrain de jeu, les comédiens n’hésitent pas à sortir du plateau pour aller déclamer jusque dans le public, donnant à la représentation un air de théâtre de tréteaux aussi appréciable par le rythme qu’il instaure que déphasé vis-à-vis de cette super-production malgré tout assez bourgeoise – bien qu’elle se défende de l’être.
La langue d’Olivier Py est multiple ; tantôt lyrique et incisive, métaphorique et crue, toujours foisonnante, elle décrit avec une acuité acerbe la réalité de cette ville, illustrant assez bien ce que Balzac écrivit à son sujet : « Quand on connaît Paris, on ne croit rien de ce qui s’y dit, et on ne dit rien de ce qui s’y fait. » A cet égard, il faut avouer que la pièce ne vole en rien sa parenté avec le Père Goriot, particulièrement à travers le personnage d’Aurélien qui incarne parfaitement le Rastignac du XXIe siècle. D’aucuns ont vu, dans l’aspect démonstratif sans pudeur du spectacle, une volonté de donner dans le subversif de bas étage : pas forcément. Ce réalisme désabusé, aux airs revendiqués de farce monumentale, semble tout aussi bien n’être que faussement provocateur sur des thèmes depuis longtemps éculés, dans le but de servir un côté ironique et comique prononcé.
Toutefois, il est vrai que la représentation est, paradoxalement, aussi agréable que pénible à regarder, car elle se tient sur un fil où il est difficile de ne pas perdre l’équilibre. Où se trouve la frontière entre « long » et « trop long », entre « franc » et « excessif », entre « représentatif » et « complaisant » ? Sans cesse, l’on balance de l’un à l’autre. D’autant plus qu’il n’est pas aisé d’écourter un tel roman fleuve, et l’adaptation n’est pas exempte de maladresses : la dernière demi-heure est une succession indigeste de retournements de situations sortis de nulle part, certains personnages, comme Lucas, sont trop peu présents pour qu’on leur trouve un quelconque intérêt… Alors forcément, quand on s’y perd, on est vite enclins à s’énerver des défauts de certains passages.
Pour finir, la distribution est très homogène, chaque personnage est incarné de manière assez archétypale, mais très vivace et prenante, cependant l’on déplorera tout de même un phrasé extrêmement déclamatoire, que le lyrisme du texte rend vite exaspérant. Une dernière note positive néanmoins : la musique est interprétée en direct (Guilhem Fabre et François Michonneau).
Ainsi, bien qu’Olivier Py ait relevé son pari sans se brûler les ailes, l’adaptation théâtrale de son roman ne peut sûrement pas prétendre devenir la fresque emblématique de ce début de XXIe siècle. La proposition est loin d’être dénuée d’intérêt et l’on passe malgré tout un bon moment, mais à trop vouloir en faire, le metteur en scène pousse le public jusqu’à saturation.
Informations pratiques
Auteur(s)
Olivier Py
Mise en scène
Olivier Py
Avec
Jean Alibert, Moustafa Benaïbout, Laure Calamy, Céline Chéenne, Emilien Diard-Detoeuf, Guilhem Fabre, Jospeh Fourez, Philippe Girard, Mireille Hebstmeyer, François Michonneau.
Durée
4h30
Adresse
La FabricA
11 rue Paul Achard
84000 Avignon