« LE COMTE ORY »  Spectacle total et réjouissance festive pour la fin de saison de l’Opéra-Comique 

Succès retentissant, joué pendant plus de cinquante ans d’affilée à l’Opéra de Paris, Le Comte Ory est l’avant-dernier opéra composé par Goachino Rossini et représenté pour la première fois en 1828. Conçu pour être peu coûteux, monté rapidement et attirer facilement le public, l’oeuvre « recyle » à la fois une précédente composition de Rossini, Il Viaggio à Reims, et un vaudeville écrit par le librettiste Eugène Scribe d’après une chanson populaire. Le synopsis est simple et léger : le Comte Ory, amoureux de la comtesse Adèle, se travestit en ermite puis en nonne pour tenter d’entrer dans le château de la dame avec ses comparses chevaliers, tandis que le jeune page Isolier, lui aussi amoureux, préfère déclarer honnêtement ses sentiments.

En lieu et place du Moyen-Age des croisades, dans lequel se situait l’oeuvre originelle, Denis Podalydès déplace sa mise en scène sous Charles X, en pleine Restauration – c’est à dire à l’époque de la création de l’opéra. Un moyen ingénieux de mettre en valeur ce que l’oeuvre racontait de son temps sous couvert d’évoquer le passé… pour mieux nous jouer, également, ce même tour ? La rigueur des interdits religieux contraignant les femmes à réprimer un désir qui, de ce fait même, en devient d’autant plus débordant est mis en avant avec force ressorts comiques, mais non sans une certaine acuité d’esprit pour le moins frappante.

Entre les décors d’Eric Ruf sublimés par les lumières de Stéphanie Daniel et les costumes signés Christian Lacroix, le spectacle jouit d’une esthétique très picturale, que renforcent les quelques projections de tableaux représentant les hommes partis au combat, comme la « Prise de la tour Malakoff » d’Horace Vernet (par ailleurs légèrement anachronique vis-à-vis de la Restauration). Avec une église un peu sans dessus-dessous et sa pléthore de symboles religieux, ou les murs austères et bruts d’un château-couvent, la scénographie est une belle réappropriation d’un cadre figuratif historique, affranchi de l’ancienne censure, et où souffle un vent de modernité.

Le plateau est beau, l’histoire y est claire et ô combien divertissante par ses situations farcesques, c’est assez : on ne trouve pas là de ré-interprétation révolutionnaire ou de lectures au ixième degré. Tant mieux, l’oeuvre n’y appelle pas… D’apparence simple et efficace, la mise en scène s’apprécie en fait dans ses détails. Il faut surprendre, à chaque instant, tel geste, ici une moue, là un regard, et voir comme ces fulgurances tissées entre elles forment un tableau délectable, d’une richesse éclatante. Denis Podalydès multiplie les idées soudaines pour insuffler au spectacle son énergie et son rythme vaudevillesques, sans lourdeur, excès ni vulgarité.

Il faut dire que la distribution qui accompagne le spectacle frise la perfection !

Philippe Talbot semble prendre un malin plaisir à interpréter un Comte sympathique, presque bonhomme, profondément drôle dans ses attitudes et ses mimiques – qui méritent qu’on soit assez près pour les distinguer. Annoncé malade en ce soir de 21 décembre, jamais on n’aurait pu s’en douter tant il paraît à l’aise jusque dans les suraigus, nous ravissant de son timbre doux et d’une diction impeccable, avec une belle projection de voix.

LE COMTE ORY -
LE COMTE ORY -
LE COMTE ORY -
LE COMTE ORY -

© Vincent Pontet

Gaëlle Arquez, dans le rôle du page Isolier, parangon de l’amour pur et dévoué, surprend par sa puissance vocale et ses aigus rayonnants, toujours avec une grande expressivité, à la limite de l’excès.

Mais c’est surtout Julie Fuchs qui règne sur la représentation. Dès son entrée fracassante dans l’acte I, son allure rappelle – de manière anachronique – celle des femmes en prière représentées par Jean Béraud, avec toutefois un comportement de drama queen que le désir refréné pousse à l’hystérie. Son jeu théâtral explosif et son chant d’une virtuosité exceptionnelle suscitent d’ailleurs bien vite une ovation longue et débordante d’enthousiasme. Avec un brin de folie et une immense précision, une souplesse vocale et un phrasé irréprochables, la soprano brûle les planches.

Jean-Sébastien Bou (Raimbaud), Patrick Bolleire (le Gouverneur) et Eve-Maud Hubaux (Dame Ragonde aux effets comiques éclatants et très bien mesurés) s’illustrent également dans leurs rôles : chaque personnage est traité, vocalement et théâtralement, comme un rôle principal. En témoigne également Jodie Devos qui, dans le rôle d’Alice, ne chante qu’une demi-phrase soliste et qui pourtant ne manque pas d’être remarquée.

Le choeur des Eléments est parfaitement réglé, de même que l’orchestre des Champs-Elysées, débordant de vitalité et d’entrain. Louis Langrée dirige avec nuance et précision, donnant à chaque seconde une intentionnalité particulière. La rigueur de ce travail se révèle particulièrement évidente dans le final de l’acte I, où le passage a cappella se fait avec une grande fluidité.

Ainsi, cette première saison de réouverture de l’Opéra-Comique avait débuté par un Fantasio magistral et se clôt aussi joyeusement sur un Comte Ory savoureux, exigeant autant musicalement que théâtralement tout en restant léger et drôle. Le spectacle est à l’image de la saison : brillant. Une réussite éclatante pour célébrer les fêtes de fin d’année dans la bonne humeur. Rendez-vous l’année prochaine pour la suite des festivités…

 

Informations pratiques

Auteur(s)
Gioachino Rossini sur un livret d’Eugène Scribe

Direction musicale
Louis Langrée

Mise en scène
Denis Podalydès

Avec
Philippe Talbot, Julie Fuchs, Gaëlle Arquez, Jean-Sébastien Bou, Patrick Bolleire, Éve-Maud Hubeaux, Jodie Devos, Laurent Podalydès, Léo Reynaud
Chœur les éléments
Orchestre des Champs-Elysées

Dates
Du 19 au 31 décembre2017

Durée
2h50

Adresse
Opéra-Comique
1 place Boieldieu
75002 Paris

Informations et dates de tournée
https://www.opera-comique.com