« CA OCCUPE L’ÂME »  Soubresauts de souvenirs amnésiques 

Repasser en revue des bribes de souvenirs. Se réfugier dans ses cavités mentales. Quand le nom d’une mère devrait être la bouée à laquelle s’accrocher pour lutter contre l’oubli, celui-ci devient aussi périssable qu’un mot tracé à la craie. Un homme et une femme, séquestrés et observés en permanence, presque ravis à leur mémoire, luttent pour survivre et ranimer leur identité friable, remodelant chaque jour leur passé. Les personnages, tanguant entre lucidité et délire, se livrent à des dialogues asymétriques où leurs souvenirs s’échangent et se superposent. Tout au long du spectacle, le spectateur collecte et trie les récits, essaie de glaner des indices sur leur relation amoureuse, ignorant tout de la raison et de la durée de leur enlèvement ainsi que de l’identité de leurs ravisseurs qui semblent mettre à mal leur perception temporelle. Ces deux êtres anonymes deviennent étrangers l’un à l’autre. L’auteure et metteuse en scène Marion Pellissier, invite le spectateur à pénétrer dans l’intériorité du couple jusqu’à ce qu’il s’approprie presque leurs souvenirs rabâchés en boucle.

Prisonniers d’une cage aux parois imaginaires et pourtant tangibles grâce au dispositif sonore et à l’écran, les interprètes évoluent dans une scénographie matérialisant l’aspect parcellaire de la mémoire, par le biais d’un carrelage fragmenté et d’une lumière fractale. La mise en scène, qui place le public dans l’œil intrusif du voyeur, s’appuie sur un travail sonore saisissant pour laisser entendre les pensées qui les habitent par instants. Projecteurs aveuglants, crissements de craie, et réverbération des voix, tout concourt à désorienter le spectateur, tiraillé entre le discours scénique et le discours vidéo pour ressouder les flashbacks entre eux et démêler les souvenirs authentiques des souvenirs artificiels. L’atmosphère oppressante est à son comble, à grands renforts de bruitages parasites et d’une lumière plongeante pour figurer la présence de leurs ravisseurs. Dans cette pièce à forte dimension cinématographique, la vidéo ne se cantonne pas à une fonction illustrative, loin s’en faut. L’image filmique, signée Nicolas Doremus et Nicolas Comte, réalisée en direct, pré-enregistrée ou accélérée bouscule présent et passé, jongle entre apparitions et disparitions à l’écran et varie les plans et les échelles. Les images parfois abstraites donnent à voir l’état intime et les réminiscences des protagonistes et font partie intégrante de la narration. La comédienne Julie Mejean, à travers ses bégaiements, ses déplacements déséquilibrés ou son corps androgyne et tremblant qu’elle recroqueville et pétris à sa guise, communique avec succès l’angoisse de la situation. Le jeu plus contenu de Florian Bardet apporte le contrepoint attendu à la tension de l’intrigue – de quoi souffler un peu. La narration ne résout pas les interrogations du public, à l’issue du spectacle le doute demeure, la présence des ravisseurs est-elle réelle ou la cage n’est-elle qu’une métaphore de l’érosion de nos souvenirs sous l’effet du temps ?

Une pièce prometteuse pour ce Festival Impatience, questionnant les espaces-mentaux et l’impermanence du souvenir.

 

Informations pratiques

Auteur(s)
Marion Pellissier

Mise en scène
Marion Pellissier

Avec
Julie Mejean et Florian Bardet

Dates
Du 19 – 20 décembre 2017

Durée
1h30

Adresse
Le Cent-Quatre
5 rue Curial
75019 Paris

Informations et dates de tournée
https://www.laraffinerie.eu/
http://www.104.fr