Dialogue d’exilés, de Bertolt Brecht, mise en scène d’Olivier Mellor au Lucernaire

Article d’Ondine Bérenger

Amertume mélancolique

Écrits à partir de 1940, et publiés à titre posthume en 1961, les « Dialogues d’Exilés », de Bertolt Brecht relatent la rencontre d’un physicien, Ziffel, et d’un ouvrier nommé Kalle, chassés de leur pays par un certain « comment s’appelle-t-il donc au juste ? » au buffet de la gare d’Helsingfors. Dans cet endroit sécurisé et isolé du reste du monde, ils discutent à la fois avec humour, cynisme et mélancolie, passant d’un sujet à l’autre pour toujours en revenir à une même constatation : l’effondrement de l’ordre du monde sous le joug du IIIe Reich.

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© Nava

Olivier Mellor fait ici le choix de recréer un intérieur de petit troquet aux allures de cabaret ou de salle de concert, rideau rouge à paillettes et instruments de musique, barrils à foison, mais dont le sol discontinu en planches de bois pourrait également évoquer un radeau à la dérive.
Dans cette atmosphère mélancolique où l’on pense à la guerre, trois musiciens jouent des chansons de Brecht, de Ferré ou encore de Dimey pour ponctuer le dialogue, et l’on ne sait si ces émouvants intermèdes musicaux qui font écho au texte soulagent ou amplifient une sorte de vague désespoir magnifié que l’on ne peut s’empêcher d’éprouver avec force.
On ressent bien cette ambiance un peu ancienne, historique, et pourtant, les mots de Bertolt Brecht résonnent encore d’une effrayante actualité, et l’on retrouve, dans ces interrogations d’une époque en crise où tout est bouleversé, un miroir tendu à nos propres doutes.

dialogues_exiles_Nava_1© Nava

L’alternance entre les passages musicaux et le texte permettent de donner au récit le rythme à la fois soutenu et tranquille d’une longue nuit, et de maintenir la concentration du spectateur sur l’écriture parfois dense et difficile de l’auteur des dialogues. Le Paradis du Lucernaire est un lieu tout à fait propice à cette rencontre, car le charme opère également grâce à la taille très réduite de la salle, qui permet une proximité particulière entre les personnages et les spectateurs, même si, par conséquent, le volume sonore peut être parfois malencontreusement désagréable. Quoiqu’il en soit, les comédiens, Olivier Mellor (Ziffel) et Stephen Szekely (Kalle) incarnent avec conviction leurs personnages, et se retrouvent, semblent-ils, aussi émus qu’ils sont émouvants.
Un très beau moment de musique et de théâtre, dont l’humour noir amer ne laisse pas indifférent.

 

Dialogues d’exilés
de Bertolt Brecht
traduction Gilbert Badia et Jean Baudrillard
mise en scène Olivier Mellor
avec Romain Dubuis, Séverin Jeanniard, Olivier Mellor, Cyril Schmidt, Stephen Szekely
Scénographie Noémie Boggio
Costumes Hélène Falé
Lumière Benoît André

du 3 février au 26 mars

Lucernaire
53 rue Notre-Dame des Champs
75006 Paris
www.lucernaire.fr