Pour la beauté du geste : le Théâtre du Mouvement s’expose et se livre sur 40 ans de créativité et de savoir-faire  

Créée en 1975 par Claire Heggen et Yves Marc, la compagnie Théâtre du Mouvement a développé considérablement les arts du geste. Depuis leur première création «les Mutants» qui a fait le tour du monde, le duo s’est démarqué par un travail de précision sur le corps en mouvement. Loin de la traditionnelle pantomime, ils explorent avec poésie de nouveaux registres dans la théâtralité du mouvement, le mime et le geste sur des thèmes qu’ils affectionnent. En 1984, ces artistes engagés invitent des comédiens à rejoindre l’aventure, une troupe permanente se forme. La compagnie a produit plus de quarante spectacles joués dans une soixantaine de pays. Auteurs, metteurs en scène et créateurs, Claire Heggen et Yves Marc sont aussi des enseignants passionnés qui continuent de transmettre leurs connaissances et savoir-faire en France et à l’étranger. Ils ont formé de nombreux artistes. De leur expérience de plus 40 ans, ils viennent de publier un livre «Théâtre du Mouvement» à l’occasion de l’exposition à la BnF qui leur rend hommage du 13 juin au 27 août. Yves Marc revient sur son parcours et l’aventure exceptionnelle du Théâtre du Mouvement à découvrir à travers l’exposition, le livre et ses spectacles.

Paula Gomes : La compagnie du Théâtre du Mouvement a plus de 40 ans, comment cette aventure a commencé ?

Yves Marc : Claire et moi, nous nous sommes rencontrés en 1970, nous étions alors professeurs d’éducation physique. Tous deux formés par Pinok et Matho et surtout par Étienne Decroux, mime corporel que nous considérons comme un grand maître. Son école accueillait très peu d’étudiants français. Nous avons travaillé avec lui jusqu’en 1976, essentiellement sur le corps et le mime avec une grande rigueur technique. Decroux nous a permis d’être des créateurs libres. Claire a aussi une importante formation en danse classique et contemporaine. Nous avons quitté l’éducation nationale pour nous consacrer à l’Art du geste. Nous avons choisi un nom de genre : «Théâtre du Mouvement» qui caractérise notre démarche artistique. Le corps et le mouvement de l’acteur occupent une position centrale, ce sont des sources infinies de sensations et d’expérimentations. Parfois accompagnés de paroles, nos spectacles dialoguent avec d’autres genres : danse, théâtre, marionnettes et cirque. En 1975, notre premier spectacle professionnel «les Mutants» a rencontré un vif succès. Des origines de l’homme et de la femme, le thème de l’animalité s’accompagne ici d’un travail corporel soutenu. Nous l’avons joué dans son intégralité jusqu’en 1992, cela reste pour moi une expérience intense et unique, notamment en Afrique. C’est une oeuvre référence dont vous pourrez voir les costumes, photos et vidéo à l’exposition de la BnF.

P.G. : Du duo à succès à la constitution d’une troupe, comment s’est opéré ce choix ?

Yves Marc : Nous avons commencé à avoir une certaine reconnaissance et proposions des stages dès 1980. Animés d’une forte créativité et poursuivant nos recherches qui sont pour nous fondamentales, nous avons souhaité transmettre notre expérience. Nous voulions casser l’image du mime soliste et ouvrir vers des mouvements de traverse en fondant la compagnie. Constituer une troupe permanente, nous a paru alors nécessaire. Notre installation aux Pavillons-sous-Bois en 1984, nous a permis de structurer la compagnie et de proposer à 6 à 8 comédiens de nous rejoindre. Cette expérience de vie ensemble commençait par un entraînement le matin, de l’importance du corps de l’acteur. Des thèmes étaient approfondis (animalité, masques corporels,…) et de nouveaux motivaient nos recherches : marche, musicalité du mouvement, spectre vocal, états de pensée et émotions. Nous avions alors 3 à 4 spectacles en tournée, tout en continuant à assurer des stages et des formations. À partir de 1996, la compagnie entre en résidence à Bagnolet puis en 2003 à Coulommiers. Inspirés et innovants, nous avons lancé un nouveau genre en 1996 : le spectacle-conférence avec «Si la Joconde avait des jambes», issu de la recherche sur la marche humaine. Depuis 2009, la compagnie est installée à Montreuil. Aujourd’hui l’équipe pédagogique compte sept personnes qui apportent chacune leurs spécificités. Parmi elles : Catherine Dubois, Estelle Bordaçarre, Carine Gualdaroni et depuis 2013 notre fille, Elsa Marquet Lienhart qui est flûtiste, danseuse et actrice gestuelle.

P.G. : Artistes engagés et pédagogues, Claire et vous avez su vous imposer tout en continuant à transmettre et à poursuivre vos recherches. Est-ce que cela a été difficile ?

Yves Marc : Si le film «Les enfants du paradis» a renforcé l’image du mime au niveau international, le mime a cependant été considéré comme un art poussiéreux. Un renouveau s’est opéré à partir de 1970. Par nos choix, nous étions «en marge» tout en proposant une ouverture à des pratiques pluridisciplinaires, on nous désignait alors comme «mimes, danseurs et poètes». Dans les années 80/90, les enjeux étaient esthétiques et nous avons vu l’avénement de nouveaux courants artistiques, tel le nouveau cirque. De 1988 à 2000, la compagnie Théâtre du Mouvement assure plus de 1200 h/an d’animations culturelles : stages, enseignements, travail dans les écoles avec le soutien de la direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France (DRAC). L’art du geste n’a pas d’école mais le Théâtre du Mouvement s’attache à transmettre en dispensant des formations, notamment à l’École Supérieure d’Art Dramatique (ESAD) depuis plus de 12 ans. Nous avons pu en parallèle créer et continuer nos investigations.

P.G.: Quels sont aujourd’hui les sujets de vos recherches et qu’est-ce qui vous motive ?

Yves Marc : Claire poursuit sa transmission sur la marionnette et enseigne dans de nombreuses écoles en France et à l’étranger. Récompensée en 2015 par l’Institut International de la Marionnette, elle a développé une grammaire de la relation corps-marionnette et corps-objet. Elle présentera une conférence-spectacle le 27 juillet au Festival Mimos : «Les vertus de la Marionnette idéale». Marquée par Eugenio Barba et le Théâtre-Forum, la dimension sociale est à ses yeux primordiale. La nouvelle création 2017, «Aeterna» dont elle assure la mise en scène avec Elsa Marquet Lienhart explore la relation mère/fille et la transmission sur trois générations. Toutes deux se produiront en septembre au Festival Mondial des Théâtres de la Marionnette à Charleville-Mézières.

De mon côté, j’ai enseigné dans une vingtaine de pays et depuis 2001 à l’Athanor Akademie en Allemagne (2 à 4 semaines/an). Dans mes recherches, je pense avoir un esprit scientifique, de la rigueur pour nommer les choses et définir une grammaire. Dialoguer avec d’autres personnes issues ou non du milieu théâtral est indispensable et donne une autre résonance à mon travail. Nous avons exploré la musicalité du mouvement avec le Roy Hart Theatre et le chant classique. Je me suis formé en neurologie, psychologie, anthropologie et en communication. Fruit de recherches thématiques et de rencontres avec des scientifiques de différentes disciplines, «Ce corps qui parle» est un solo sous forme de conférence où je décortique avec humour les gestes du quotidien. J’affectionne tout particulièrement la théâtralité du mouvement (respiration, tonus, tensions, faciès) et le thème de l’animalité que je developpe dans le livre «Théâtre du Mouvement».

P.G. : Parlez-nous de ce livre écrit avec Claire Heggen, sorti à l’occasion de l’exposition hommage au «Théâtre du Mouvement» à la BnF ?

Yves Marc : Le projet de l’exposition est né pour les 40 ans de la compagnie Théâtre du Mouvement. Dans un souci de transmission depuis 2014, nous avons fait dons à la BnF de fonds d’archives (costumes, photos, vidéos, textes, affiches…). Ces objets confiés à Joël Huthwohl, directeur du département des Arts du spectacle de la BnF, sont exposés à la Galerie des donateurs dans une rétrospective émouvante : «Théâtre du Mouvement. L’aventure du geste» proposée par Jean-Baptiste Raze, Commissaire de l’exposition. Le livre de 600 pages très largement illustré revient sur les thématiques de la compagnie, son histoire, son activité créatrice et son attachement à la transmission. Claire et moi avons rédigé certains thèmes à deux et traité individuellement les sujets qui nous tenaient à coeur. Cet exercice d’écriture a été pour moi un plaisir, une immersion et un prétexte à de nouvelles recherches créatives ! Cet ouvrage de référence rend hommage aux acteurs du mouvement et à tout le travail collectif effectué au fil des ans avec passion et audace.

P.G.: Quelle est votre actualité à venir ?

Yves Marc : Outre la création 2017, «Aeterna» et des conférences-spectacles, «Alba» sera en tournée en Espagne en 2018. Créée en 2015, la compagnie choisit pour la première fois un classique existant en adaptant la pièce «La Maison de Bernarda Alba» de Federico Garcia Lorca. La dramaturgie et les thèmes abordés m’ont permis d’orienter la mise en scène autour du corps en tension, sujet à des émotions, de la sensualité et la liberté de la jeunesse. Nous serons présents au Festival Mimages en mars 2018, Festival des Arts du Mime et du Geste dont je suis le parrain. À noter : du 7 novembre au 7 décembre 2017 se déroulera la Biennale nationale des Arts du Mime et du Geste avec la nuit du Mime le 10 novembre. Proposé par le GLAM (Groupe de Liaison des Arts du Mime et du Geste) et organisé par le Collectif des Arts du Mime et du Geste, en collaboration avec différents acteurs de la profession, une programmation riche de spectacles, ateliers et tables rondes. Des rendez-vous à ne pas manquer !

 

Informations pratiques
Exposition Théâtre du Mouvement. L’aventure du geste.

A l’occasion de l’exposition, parution du livre «Théâtre du Mouvement»

de Claire Heggen et Yves Marc avec la complicité de Patrick Pezin

Éditions Deuxième Epoque – Domaine Théâtre

Dates
Du 13 juin au 27 août 2017

Adresse
BnF François-Mitterrand – Galerie des donateurs
Quai François Mauriac
75013 Paris

http://www.bnf.fr/fr/evenements_et_culture/anx_expositions/f.theatre_mouvement.html