« La direction d’acteurs peut-elle s’apprendre ? », ouvrage coordonné par Jean-François Dusigne, Éditions Les Solitaires Intempestifs

article de Bruno Deslot

Mise en perspective d’interrogations transverses

Dans le cadre des rencontres internationales organisées par Jean-François Dusigne (Université Paris 8) avec les collaborations de Claire Lasne Darcueil et Sébastien Lenglet (Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique) et ARTA, Association de Recherche des Traditions de l’Acteur, les 11 et 12 décembre 2014 à l’Université Paris 8, les Éditions Les Solitaires Intempestifs ont publié l’ensemble des communications des professionnels du spectacle présents durant deux jours, sur le sujet « La direction d’acteurs peut-elle s’apprendre ? ».
Jean-François Dusigne a invité de nombreuses personnalités du monde artistique comme Rodrigo Scalari, Philippe Ducou, Radu Penciulescu, Georges Banu, Hanna Lasserre, Natalia Isaeva, Sophie Proust et bien d’autres. La question, que porte le titre de l’ouvrage, en contient une autre sous-jacente : « Que donne à apprendre et à enseigner le fait de diriger un acteur ? ». Les échanges sont riches et nombreux, tous étayés d’expériences vécues ou partagées, de croisements de paroles, de réflexions permettant au lecteur d’appréhender toute la complexité du rapport à la scène dans son ensemble.

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Dès les premières pages, l’interdisciplinarité se fait pressentir car la parole est donnée aux artistes de la scène (théâtre, danse, cinéma, arts numériques…) non en s’inscrivant dans une démarche d’exhaustivité mais au contraire afin de privilégier le croisement de regards venus d’horizons différents, ayant tous en commun, la scène.
Hanna Lasserre, intervient à propos des acteurs au bord du précipice en évoquant le direction d’acteurs chez Franck Castorf qui, dans ses mises en scène, emmène systématiquement les comédiens dans des états extrêmes physiquement et émotionnellement. Elle cite la mise en scène de Castorf de « La Dame aux camélias » d’après Alexandre Dumas fils, créée en janvier 2012 au Théâtre de l’Odéon. Pour cet homme de théâtre, son rapport à l’espace est essentiel et c’est en recourant à un décor à étages avec des escaliers et des espaces cachés au public, le tout monté sur un plateau tournant, que l’expression « au bord du précipice » prend tout son sens. Par ce genre de structure spatiale, les comédiens se retrouvent dans des situations qui les poussent à agir, à bouger et à ressentir de manière spécifique. Les décors et costumes sont toujours bien avancés lorsque Castorf prépare un spectacle car ils doivent mettre les comédiens dans des situations particulières et doivent rendre leurs mouvements plus intéressants, plus singuliers. « En poussant le jeu à sa limite, Castorf donne à voir une réalité : celle des comédiens éprouvés, qu’il met à nu sur le plateau ».
Rodrigo Scalari, situe la place du « non-dit » dans la direction d’acteurs chez Ariane Mnouchkine et Patrice Chéreau. Lors de la création du spectacle « Le dernier Caravansérail » (2003), A.Mnouchkine a fait valoir une démarche de mise en scène collective. Elle a communiqué avec les acteurs aussi bien par le biais de la parole que de ses silences. Le « non-dit » résulte ici du vécu, de l’ordre, de l’expérience. Le travail de plateau, pour A.Mnouchkine, consiste à préparer le terrain, le terrain de jeu.
Sur le plateau, P.Chéreau, s’engageait lui-même dans une relation de « corps à corps » avec les acteurs et les poussait à « la limite du déséquilibre ». Pas de longs discours métaphysiques, mais un souci du faire ou du montrer.
Quelque soit la méthode employée, le metteur en scène a recours à un travail dramaturgique. Pour certains, comme Beaunesne et Marleau, cet exercice passe par le travail à la table où il s’agit d’identifier les enjeux du texte, de les verbaliser et de tenter de clarifier certaines situations. Langhoff interroge directement le sens du travail sur le plateau, par sa grammaire physique. Wilson, lui, transpose le travail dramaturgique par le biais de dessins afin de rendre compte de la manière dont les comédiens vont utiliser l’espace et comment cela va créer du sens.

Tous ces témoignages sont riches d’enseignement et permettent d’explorer, à partir d’un questionnement à multiples entrées, la pluralité des pratiques théâtrales, dans un espace qui ne peut faire l’économie des nouvelles technologies dont parlent Georges Gagneré et Cédric Plessiet. Le dialogue croisé, dirigé par Jean-François Dusigne, entre Jean Bellorini, Claude Buchvald, Paul Golub, Jerzy Klesyk, Claire Lasne Darceuil et Marie-José Malis met en avant qu’il n’y a pas qu’une seule direction d’acteurs mais des directions d’acteurs, et la notion même porte à controverse.

Au fil des pages, les différentes interventions, regroupées par thématique, esquissent un paysage d’interrogations qui aiguisent la curiosité du lecteur suscitant l’envie d’assister à des répétitions, afin de mieux cerner, in situ, les enjeux de la direction d’acteurs. A la fois, passionnant et presque fondateur, cet ouvrage met en lumière, à un moment donné, les enjeux de la pluralité des modes de fonctionnement des metteurs en scène et des gens qui les entourent.
L’ouvrage coordonné par Jean-François Dusigne est un incontournable pour les professionnels du spectacle, les apprentis comédiens, mais aussi pour les néophytes.

 

La direction d’acteurs peut-elle s’apprendre ?
Ouvrage coordonné par Jean-François Dusigne
Avec les contributions de Jurij Alschitz, Antônio Araújo, Georges Banu, Jean Bellorini, Dominique Boissel, Marcus Borja, Wilfried Bosch, Claude Buchvald, Marion Carrot, Dominique Dupuy, Jean-François Dusigne, Michael Earley, Delphine Eliet, Georges Gagneré, Paul Golub, Nicolas Gonzales, Giampaolo Gotti, Piotr Gruszczynski, Natalia Isaeva, Jerzy Klesyk, Claire Lasne-Darcueil, Hanna Lasserre, Katia Légeret, Stéphane Levy, Marie-José Malis, Alain Maratrat, Radu Penciulescu, Béatrice Picon-Vallin, Cédric Plessiet, Stéphane Poliakov, Sophie Proust, Thomas Richards, Rodrigo Scalari, Maria Thais Lima Santos, Anatoli Vassiliev, Anne Villacèque et Yakupov.

Éditions Les Solitaires Intempestifs
1 rue Gay-Lussac
25 000 Besançon
http://www.solitairesintempestifs.com/