Article d’Ondine Bérenger
Juste la fin d’un monde
Nouvelle escapade dans les souterrains bisontins, cette fois-ci pour découvrir une ravissante cave aménagée en chambre de jeune fille, plutôt cosy, manifestement confortable et pas du tout effrayante. Elle est d’ailleurs déjà là, la jeune propriétaire, se séchant les cheveux sur son lit tandis que le public s’installe. Dans cette nouvelle création, il ne s’agit pas d’une histoire : il n’y a ni début ni fin. Ni trame, finalement. Juste une tranche de vie.
© Patrice Forsans
C’est une pièce faite de longs silences et de tirades presque schizophréniques, de segments du quotidien captés entre un ordinateur et une bouilloire, dans cette chambre que l’on pourrait jurer authentique tant elle fourmille de détails insignifiants et d’apparents souvenirs.
© Patrice Forsans
Ce sont les mots jetés au fil de la pensée d’une jeune femme d’aujourd’hui, prise entre les tourments d’un monde extérieur terrifiant et d’une intériorité débordant d’incertitudes. Cocktail explosif porté au point de tension d’un univers en pleine ébullition.
Cette jeune femme voudrait écrire, n’y parvient pas ; voudrait aimer, ignore si elle y réussit ; voudrait faire sa vie, tout simplement, dans un monde complexe où il n’est pas aisé de trouver sa place. Dans son discours sincère et spontané, tout transparaît : ses doutes, ses incompréhensions, ses peurs, ses déceptions… ses ambitions aussi, et ses rêves, ses états-d’âme. Mise à nu par la parole, elle révèle ses sentiments les plus intimes, et pourtant sans doute les plus universels. Qui, dans sa génération troublée, n’est pas secoué par les mêmes questionnements et mêmes appréhensions que ceux qu’elle crie à pleine voix dans la solitude de sa chambre isolée ?
C’est un très beau texte que porte à la scène la jeune Manon Falippou, qui déclame avec une précision sans failles (malgré la difficulté évidente de l’exercice) et une justesse authentique toutes les pensées de cette femme qui, sentant proche la chute d’un monde, avance avec détermination malgré ses tremblements. Que dire, si ce n’est que la représentation est frappante par ses évocations, touchante par son interprétation et impressionnante par la force de son propos ?
Exprimer avec sincérité et poésie l’âme d’une génération qui cherche à se comprendre, voilà l’enjeu de cette œuvre résolument contemporaine.
Je sens qu’il neige en moi
d’après les écrits de Falk Richter
mise en scène Pearl Manifold
avec Manon Falippou
du 26 mai au 20 juin
dans le cadre du Festival de Caves