« LES LARMES DE BARBE-BLEUE » 

La nouvelle création de Mathieu Bauer fait escale à La Pop, péniche dédiée aux musiques mises en scène. Cette pièce trouve une harmonie étonnante entre l’univers bauerien et celui de Béla Bartók en traversant la seule œuvre opératique du compositeur hongrois : Le Château de Barbe-bleue.

Dès que l’on rentre dans la péniche, on se laisse submerger par un univers marqué de nostalgie. Les objets, les photos, les livres, les radios anciennes, ainsi qu’un  nombre important d’indices hétérogènes pour nous donner les repères d’une temporalité ambiguë, entre passé et contemporanéité.  Au fond du plateau, une scène de concert de rock, avec un dispositif à plusieurs amplificateurs, ouvre la perception sur un futur possible.

On ne peut que saluer l’incarnation de Judith, dernière femme de Barbe-bleue, par Évelyne Didi. Avec ses pleurs, ses larmes, sa voix pénétrante qui se balade en contrepoint avec la musique, qui s’oppose à elle pour nous délivrer les derniers mots, qui explore les cris sourds et doux de la douleur solitaire. C’est par la voix qu’elle se raccroche à son homme absent et pour se sauver. Nous ne pouvons que la suivre, transposant nos propres douleurs.

Dans toute sa complexité, l’univers musical de Bauer déploie une maîtrise impressionnante. Dès que la pièce commence, le fond sonore fait dialogue avec le personnage de Judith dans un cours de langue hongroise. La voix enregistrée qui répète des phrases incompressibles pour le spectateur moyen accompagne cette femme dans sa solitude et dans sa tristesse comme dans une conversation à deux.

La diffusion d’enregistrements de la musique balkanique, objet d’étude et d’inspiration de Bartók, rayonne sur nos sentiments de chagrin. Cette musique lointaine  ne cherche pas l’exotisme mais nous touche au plus profond de nos sentiments cachés.

Les extraits musicaux sont diffusés dans tous les espaces possibles de la salle : depuis l’intimité d’une chambre, en contournant la salle entière ou à la manière d’un concert. Le compositeur-metteur en scène joue avec notre perception, entre espace physique et psychologique. Le spectateur a vite l’impression de se trouver dans un espace intemporel, proche du cinéma. La répétition de motifs mélodiques suivis d’accords au piano font penser au leitmotiv wagnérien. Sentiment  souligné par la technique orchestrale bartokienne qui est proche du passé, malgré une exploration vers une  modernité évidente, que se cristallise dans figure du rythme.

Grâce à un contrôleur placé sur le plateau, le personnage peut également faire de la musique. Jouer avec les sons, nous intégrer directement du côté vivant de la musique. Mais une ambiguïté temporelle se manifeste par le fond sonore, constitué de bruits et de sons électroniques dont la forme est celle de la musique contemporaine.

Mathieu Bauer nous fait visiter la dimension poétique du Château de Barbe-bleue avec un dispositif très intéressant. En regardant la partition déployée au sol, nous écoutons une description recréatrice de la musique par son instrumentation et par les éléments harmoniques et mélodiques. Se rajoute alors un monde symbolique, parfois magique. Cette proposition nous invite à déployer notre propre imaginaire, ce que la musique pourrait nous faire entendre. Le concert propose un déploiement magnifique d’harmonies entre la musique de l’opéra, la voix, texte et la musique de Sylvain Cartigny, qu’il dirige comme un magicien.

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La musique existe dans sa dimension la plus puissante quand elle est faite en live. On est loin d’être étonné que le spectacle finisse de cette manière. La guitare, instrument nostalgique lui-même, joué par Silvain Cartigny, nous prend par la main pour nous sortir de ce rêve mélancolique et nous ramener à une réalité bien différente de celle dont nous venions.

Le Château de Barbe-bleue est un spectacle intime, un voyage introspectif puissant entre mélancolie et nostalgie. On aimerait démarrer le bateau et continuer à voyager seul. 

 

Informations pratiques

Auteur(s)
D’après Le Château de Barbe-Bleue de Béla Bartók et divers textes de Georges Didi-Huberman

Conception et mise en scène
Mathieu Bauer

Avec
Évelyne Didi

Dates
7, 8, 9 & 10 NOVEMBRE 2017 À 19H30

Adresse
La Pop
Face au 34 du quai de la Loire
75019 Paris


Informations et dates de tournée
http://lapop.fr