« Les Liaisons dangereuses » adaptation et mise en scène Christine Letailleur, au Théâtre de la Ville

Article de Marianne Guernet-Mouton

Libertinage ou amour vrai ? Le charme d’un long combat gagné d’avance

Comme toujours, adapter un monument de la littérature tel que « Les Liaisons dangereuses », publiées en 1781 par Choderlos de Laclos, c’est choisir un biais de lecture qui soit nourrira soit décevra les attentes de son public. Pour autant, la mise en scène qu’en propose Christine Letailleur, en se voulant proche du texte, s’attaque aux 175 lettres de ce roman épistolaire qui en son temps fit l’effet d’une bombe, en négligeant tout parti pris. Certes, le texte porté par des acteurs remarquables reste quoiqu’il arrive saisissant, mais l’adaptation, elle, reste trop propre et déçoit par la dynamique de lecture des lettres constamment teintées d’un didactisme usant.

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© Brigitte Enguerrand

Alors que le roman fit sensation pour le voile qu’il leva sur les mœurs de l’aristocratie, ses manigances et son hypocrisie infinie autour de la marquise de Merteuil et du vicomte de Valmont, deux êtres débridés prenants pour cibles Madame de Tourvel et Cécile de Volanges, la mise en scène n’apporte rien de plus aux joutes de l’amour et de la liberté de ces deux-là. Pire encore, la dramaturgie est inexistante. Dans un décor quasi invisible, une maison grisâtre sur deux étages regorgeant d’ouvertures rythmant les entrées et sorties à en donner le tournis même si ce tourbillon spatial et amoureux est bien pensé, les personnages font leur entrée en habit d’époque. Le choix des costumes très travaillés et magnifiques, les jeux de lumière et la scénographie impeccables ont le mérite de séduire pour le focus créé autour du jeu et des lettres, sans cesse brandies par les personnages.
À travers cette mise en scène relativement crispée sans grande prise de risque, émerge toutefois un jeu d’acteur remarquable. Dans le rôle de la marquise de Merteuil Dominique Blanc, nouvelle sociétaire de la Comédie-Française, est si juste dans son rôle, si terrible dans ses manipulations et sincère dans sa quête de liberté qu’elle en vient – malheureusement, faute d’une bonne direction d’acteurs – à occulter tous les autres personnages. Ainsi, Vincent Perez dans le rôle du vicomte, dont la personnalité évolue significativement dans le roman puisqu’on le voit peu à peu subir son hypocrisie et souffrir de l’amour vrai que contre toute attente il éprouvera pour sa jeune proie Madame de Tourvel, s’épuise sur scène à vouloir rivaliser face à son adversaire de jeu. Maniéré à outrance, espiègle à souhait, au départ le vicomte fait rire, évolue bien et attire l’attention, malgré tout la redondance de son jeu a raison de lui et le manque de finalité de son rôle est trop manifeste.

les_liaisons_brigitte_enguerrand_2© Brigitte Enguerrand

En effet, dès les premières minutes de l’adaptation, les cartes sont jouées, la marquise gagne d’avance sa guerre des sexes face au Dandy prétentieux finalement très calme qu’incarne Vincent Perez. Au manque d’incarnation des personnages de Cécile de Volanges par Fanny Blondeau ou Madame de Tourvel par Julie Duchaussoy qui parvient cependant à émouvoir à l’approche de la scène finale, toutes deux respectivement jeune pucelle et jeune prude désœuvrées sous les ficelles de leurs manipulateurs, se greffe une création sonore dépassée. L’idée de moments de lecture de lettres en voix-off, satisfaisante bien que le texte eût pu être moins exhaustif, n’en est pas moins épuisante par les échos créés.
Les musiques, les costumes, le mobilier, tout aurait pu concourir à une adaptation convaincante. Le résultat, propre, souvent esthétique, laisse pourtant une impression très mitigée de personnages caricaturés aux airs de poupées de cire suscitant trop souvent le rire, quand au contraire, le dramatique égarement sentimental de cette aristocratie abusant de tout devrait nous saisir.
Si dans cette adaptation l’amour et la vengeance couchent bien sous le même toit, la mise en scène de Christine Letailleur, qui s’est laissée envahir par le texte, est restée sur le pas de la porte.

Les Liaisons dangereuses
de Pierre Choderlos de Laclos
Adaptation et mise en scène Christine Letailleur
Scénographie Emmanuel Clolus, Christine Letailleur
Lumières Philippe Berthomé
Costumes Thibaut Welchlin
Avec Dominique Blanc, Vincent Perez, Fanny Blondeau, Stéphanie Cosserat, Julie Duchaussoy, Manuel Garcie-Kilian, Guy Prévost, Karen Rencurel, Richard Sammut, Véronique Willemaers.

Du 2 au 18 mars 2016

Théâtre de la Ville
2, place du Châtelet
75004 Paris
www.theatredelaville-paris.com