Article de Léa Carabu
Les missions d’un mendiant, voyage au cœur d’un étrange ailleurs qui panse les âmes.
C’est à la rencontre d’Olivier Couder et Richard Leteurtre que l’on doit cette création originale et très touchante qui réunit quatre pièces de Daniel Keene ; Je dis Je, La visite, Avis aux intéressés, un tabouret à trois pieds.
Portée par des comédiens professionnels en situation de handicap et par le comédien Peter Bonke , la pièce est vibrante de justesse et de sincérité. Il faut être prêt à vivre le théâtre différemment, à se laisser porter par un univers onirique et par des interprètes qui impressionnent par l’étrangeté de leur présence. Une présence solaire qui réconforte et traverse sans concessions les êtres que nous sommes.
Un îlot de bois pour seul habillage sur la scène composé de matière brute et simple. La plate-forme est découpée en quatre espaces scéniques qui accueillent chacun leur tour les quatre textes de Daniel Keene. Les interprètes jouent dessus, dedans, sur les côtés, dessous, devant la plate-forme et exploitent toutes les possibilités d’une scénographie judicieuse et poétique. Présentée comme « le radeau de la méduse » la plate-forme penche vers l’avant et tangue sur le côté.
Le tout est sublimé par un jeu de lumières épuré qui met en contraste le bois et la matière humaine qui s’y fond. Et c’est une matière vivante qui rayonne et vous prend aux tripes. Les comédiens sont habités et diffusent dans la salle une aura lumineuse et vibrante. Ils ne jouent pas, ils sont. Le public reçoit directement les mots de l’auteur à travers le corps des interprètes sans aucun filtre. Ils sont imprégnés des mots et les mots s’imprègnent d’eux. C’est un moment de grâce que nous offre cette troupe, un instant suspendu qui panse l’âme et la chair.
On oublie peu à peu le handicap des comédiens au profit de l’interprétation des personnages qui prennent vie sous nos yeux et nous embarquent dans un ailleurs fragile et puissant à la fois. Sur le fil, nous tanguons avec eux, prêts à tendre les mains pour les rattraper si besoin. Il y a quelque chose d’aérien, de suspendu chez ces comédiens, un état de grâce qui donne à voir les mots de Daniel Keene dans toutes leurs résonances.
Peter Bonke, seul comédien sans handicap, est quant à lui tout simplement magnifique. Il est passionnant de voir comment son jeu se transforme aux contacts des autres interprètes, la qualité d’écoute toute particulière qu’il installe dès les premières répliques. Il campe merveilleusement bien ses deux personnages ( Avis aux intéressés, un tabouret à trois pieds ) et nous happe dans son univers. Son aisance corporelle est fascinante et s’inscrit naturellement dans le texte de Daniel Keene.
On en ressort légèrement marqué, avec douceur, comme si du bout des doigts ils étaient venus visiter un coin de nous-mêmes et y avaient apposé une empreinte, une sensation. Sensation qui s’éternise après la représentation et laisse un goût de suspension.
On rit, on pleure, on a peur, on est choqué et puis finalement rassuré.
C’est un instant un peu spécial, un peu ailleurs, un peu en soi, un peu en eux, comme un tout.
Les missions d’un mendiant
4 pièces courtes de Daniel Keene, traduction Séverine Magois
éditions Théâtrales
Mise en scène, Un tabouret à trois pieds et Je dis Je, Richard Leteurtre / Avis aux intéressés, Olivier Couder / La visite, Olivier Couder et Natacha Mircovich
Avec, Francis Auvray, Peter Bonke, Olivier Couder, Stéphane Guerin, Coralie Moreau, Anna Peneveyre, Emmanuel Viennot de Vaublanc et Gabriel Xerri
Scénographie, Jean-Pierre Schneider
Eclairages, Marie-Hélène Pinon
Bande son, Dominique Massa
Décor et costumes, Atelier Eurydice
du 4 au 19 décembre 2015
Théâtre de l’Etoile du Nord
16 rue Georgette Agutte
75018 Paris
www.etoiledunord-theatre.com