"LES PERSONNAGES DE LA PENSÉE" de Valère Novarina, Quand l’action est dans le discours, et le rire le vrai délivreur

Les Personnages de la pensée mise en scène Valère Novarina © Tuong-Vi Nguyen

Le théâtre de la Colline se mérite ! Il faut gravir une montagne, celle de Ménilmontant. Le théâtre de Valère Novarina se mérite aussi ! Il faut plonger sans bouée dans le flot impétueux de sa langue trois heures durant. Grand saut dans l’inconnu, vivifiant !

La pièce Les Personnages de la pensée est un spectacle hors norme où l’on chercherait en vain un début et une fin, un récit cohérent, des évènements qui s’enchaînent logiquement. Et pourtant, tout se tient, sans failles, car il y a bien un fil rouge qui parcourt la pièce : la parole en acte, en chair et en os, tonitruante, virevoltante, vibrionnante, portée, chantée, soufflée par dix acteurs et deux musiciens.

La pièce est également nourrie par l’image, elle aussi mobile, changeante, sous forme de tableaux, œuvres de l’auteur lui-même d’ailleurs, qui s’assemblent, permutent, se recomposent comme un véritable ballet pictural, écho paysager au texte et scènes des comédiens. Certains tableaux, les plus grands, accrochés aux cimaises, prennent forme et couleurs sous nos yeux même, en direct !

Tout au long de la pièce, Valère Novarina, qui est également metteur en scène ici, ne cesse de nous interroger sur cette langue qui est la nôtre, ce qu’elle produit et ce que nous en faisons. Il la triture, la malaxe comme une pâte, la déforme et la reforme, en fait jaillir la lumière, des éclats de rire comme autant de petits cailloux blancs dans une forêt de mots. C’est ainsi qu’au détour d’un tableau, il revisite le corbeau, perché sur un escabeau et le renard, dans une fable où toutes les voyelles ont été remplacées par une seule, u ! Moment jouissif et désopilant, parmi tant d’autres, en contrepoint desquels viennent s’affronter d’autres langues, comme celle du politique et d’autres discours, comme celui du grand capital dont l’humour prend alors une tonalité plus grinçante car cette fois la langue vivifiante a cédé la place à la communication schizophrène, au jargon castrateur.

Enfin, la parole qui est ici lancée comme un défi aux oreilles des spectateurs prend toute sa force, son sens et son non-sens grâce à dix acteurs et deux musiciens remarquables, Valentine Catzéflis, Aurélien Fayet, Manuel Le Lièvre, Sylvain Levitte, Liza Alegria Ndikita, Claire Sermonne, Agnès Sourdillon, Nicolas Struve, René Turquois, Valérie Vinci, Mathias Lévy (au violon) et Christian Paccoud (à l’accordéon). Chacun d’entre eux déploient une énergie stupéfiante, comme de véritables athlètes de plateau, donnant vie et corps à un texte et à une langue particulièrement riches et complexes grâce à une diction sans failles. Ils parviennent à tenir un tempo soutenu, haletant parfois, où les scènes s’enchaînent, scandées par des chansons qui donnent alors au spectacle un faux air de comédie musicale. Ces chants, ces interludes musicaux constituent des moments de respiration bienvenus dans la pièce où le spectateur reprend pieds quelques instants, avant de replonger et d’être emporté à nouveau dans le tumulte de la langue novarinienne .

Les Personnages de la pensée mise en scène Valère Novarina © Tuong-Vi Nguyen

Informations pratiques

LES PERSONNAGES DE LA PENSÉE – Création La Colline 2023

Auteur(s)
Valère Novarina

Peintures et Mise en scène
Valère Novarina

Avec
Valentine Catzéflis, Aurélien Fayet, Manuel Le Lièvre, Sylvain Levitte, Liza Alegria Ndikita,
Claire Sermonne, Agnès Sourdillon, Nicolas Struve, René Turquois, Valérie Vinci
et les musiciens Mathias Lévy et Christian Paccoud
Collaboration artistique Céline Schaeffer
Musique Christian Paccoud
Lumières Joël Hourbeigt
Scénographie Emmanuel Clolus