« THÉÂTRE 2002-2017 » de Pascal Rambert, Vivre le réel le temps du théâtre !

Le volume 2 Théâtre 2002-2017 de Pascal Rambert fait suite à Théâtre 1987-2001 et reprend huit pièces déjà publiées entre 2002 et 2017. En 2016, l’auteur, metteur en scène, réalisateur et chorégraphe, a reçu le Prix du Théâtre de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre. Directeur du T2G-Théâtre de Gennevilliers, il a transformé ce centre dramatique national de création contemporaine en un lieu exclusivement consacré aux artistes vivants. Artiste associé au théâtre de Madrid et auteur associé au Théâtre national de Strasbourg depuis 2014, les créations de Pascal Rambert sont présentées internationalement, ses textes édités en France aux Solitaires Intempestifs mais encore traduits et publiés dans de nombreuses langues. Clôture d’amour a obtenu le Grand prix de littérature dramatique 2012 et de la meilleure création de pièce en langue française pour la saison 2011-2012 et fin 2019, la pièce a été jouée près de deux cents fois et traduite en vingt-trois langues. En ce moment, elle est jouée au théâtre de l’Atelier, 1 place Charles Dublin à Paris du 26 octobre au 11 novembre 2024, le lundi à 19h, le samedi et le dimanche à 18h pour une durée de 2h. 

La première pièce Mon fantôme de 2002 correspond à une commande de France Culture à destination des enfants, créée pour l’atelier de création radiophonique et produite par Franck Smith le 18 janvier 2004 avec Clarence Clavel et Hugues Quester. Il est question d’un double fantôme qui aide l’enfant à s’endormir dans le secret des draps où pullulent les questions une nuit de rêves.

La deuxième Toute la vie créée le 21 novembre 2007 au Théâtre de Gennevilliers est mise en scène et installée avec un quatuor à cordes par l’auteur. Toutes les prises de parole et chansons se font sur micro accentuant le décalage temporel du texte. Ah ! est le personnage principal de ce texte d’anticipation qui nous fait voyager dans le passé, présent et futur jusqu’en 2085 avec les thèmes de clonage et d’avatar. Aux dates événementielles du monde guerroyant sans perspective se superposent les dates autobiographiques du chagrin mêlé de dégoût ne laissant plus place au bonheur. Même le fantôme de la grand-mère se retire. Les acteurs refont les scènes en montant et redescendant dans le temps comme lorsqu’on passe un film en avant ou en arrière. Le pouvoir du théâtre est de réparer la vie en la réinventant.

L’art du théâtre se profile en troisième position dans le même contexte que la deuxième sauf qu’il s’agit d’acteurs roublards et de metteurs en scène encore plus roublards. Le grand acteur a besoin de silence pour donner du poids aux mots à l’intérieur d’eux dans la balance de leur souffle et de leur respiration. « Il n’y a pas d’art du théâtre sans art de repousser l’abandon. » « Quand on vit dans l’art du théâtre on vit dans un temps ajouté. Nous ajoutons du temps à la vie qui nous abandonne. »

La quatrième pièce Répétitions toujours créée au Théâtre de Gennevilliers date du 12 décembre 2014 dans le cadre du festival d’Automne à Paris. Deux actrices, Audrey et Emmanuelle, un écrivain Denis et un metteur en scène Stan partagent la scène dans le triptyque corps/espace/ mouvement. N’oublions pas que Pascal Rambert est aussi chorégraphe ! Il y est question d’explorer ce qu’est voir, vivre, vivre la vraie vie, montrer la vérité cachée, le langage et ses limites, comprendre les actes et leur structure de fer. « Le langage a été mis au point pour supporter l’abysse. » « …le langage est la forme visible non pas de la vie intérieure mais de l’abysse qui nous habite… » « Quant à la vérité, ce n’est pas dans la vie qu’on la trouve mais dans cette chose incroyable que les humains ont inventé et qu’on appelle fiction… » Au niveau formel, l’auteur ne s’autorise que le point d’interrogation pour souligner son questionnement.

Libido Sciendi est une cinquième pièce de danse créée en juillet 2008 au festival Montpellier Danse avec Lorenzo De Angelis et Ikue Nakagawa. Elle est reprise dans une seconde version en juin 2012 au Grand Palais dans le cadre de Monumenta « Daniel Buren au Grand Palais ». « Presque descriptif de Libido Sciendi éclaté dans les salles du Musée Picasso le 21 novembre 2014 » présente la lecture dense d’un texte sans ponctuation.

Quant à la sixième pièce Lac, le texte a été écrit sur mesure à la demande de la Manufacture, Haute école de théâtre de Suisse romande pour le spectacle de sortie des étudiants comédiens du Bachelor Théâtre, promotion 2012-2015. Quinze thèmes sont déclinés : amour, beauté, cœur, âme, quête, nuit/jour, ivresse, joie/douleur, raison/folie, vision, chant du monde, mort physique associés à un prénom pour l’incarnation car il est aussi question de corps, de peau…

La septième pièce Argument a été créée le 6 janvier 2016 au Centre national Orléans/Loiret/Centre dans une mise en scène de l’auteur. Nous assistons au déchirement d’un couple avec enfant : « petit papa petite maman pourquoi m’avez-vous mise au monde ? ». Les images sont fortes et parlantes avec une poésie fracassante. La langue est raffinée, sans ponctuation, avec de longues didascalies.

La huitième pièce Une vie a été créée le 24 mai 2017 au Théâtre du Vieux-Colombier à Paris par la troupe de la Comédie-Française avec entre autres, Denis Podalydès. Le décor est annoncé : un studio vide et blanc. L’interviewer inaugure « Il n’y a plus d’humains ? » Entre lui et l’invité, les blancs succèdent aux paroles. Et l’on retrouve ce que Pascal Rambert nous a déjà partagé : « L’intérieur. L’extérieur ce n’est pas le problème. C’est comme les acteurs. Les acteurs s’échinent à donner une forme extérieure aux choses. Alors que le travail c’est de se retirer pour laisser l’espace intérieur s’installer à la surface. » Les critiques sont considérées comme ces chiens qui vous attrapent un bout de pantalon : « Il faut leur laisser un bout de pantalon et continuer d’avancer. ». Si Pascal Rambert peut paraître abstrait voire intellectuel, il arrive à nous toucher dans ce qu’il y a de plus profond en nous. Il a l’art de renverser des évidences : « L’origine est devant. » « On est ce vers quoi on va. Point. Et si vous voulez savoir ce qu’est un artiste : « C’est quelqu’un qui se propose de vivre. » et « Vivre c’est ne rien vouloir manquer du réel. »

Ce volume 2 du Théâtre de Pascal Rambert nous plonge dans des thèmes récurrents à l’auteur qui font honneur à un théâtre de l’intériorité de l’être humain dans ses relations au monde et surtout dans ses questionnements à tout âge. L’auteur nous donne à voir les remous intérieurs de l’être humain dans une fiction qui dit vrai. Il montre la part cachée, voire l’abysse qui nous habite par la langue théâtrale où corps et cœurs sont en jeu.

Informations pratiques

Auteur(s)
Pascal Rambert

Prix
21 euros

Éditions Les Solitaires Intempestifs
www.solitairesintempestifs.com