« UNE CÉRÉMONIE », une traversée rituelle du théâtre

Une cérémonie du Raoul Collectif © Céline Chariot

C’est avec une grande chaleur et un très bel esprit de groupe que le Raoul Collectif présente sa nouvelle création, Une cérémonie. Le titre sonne comme une promesse aussi vague qu’enthousiaste, qui est peut-être la clé du spectacle. Bien sûr, Une cérémonie raconte l’histoire d’un rituel ; ou plutôt, la tentative d’un groupe de faire rituel, dans un monde occidental qui en a perdu le sens. Sans cesse échouée, sans cesse recommencée, cette tentative produit une dialectique qui a pour thème et forme la révolte, et interroge les raisons de son échec. D’abord un essai de célébration à l’occidentale, ponctuée de toasts qui annoncent les figures littéraires à venir et les modalités du spectacle – où Yaël Steinmann tient un rôle « introductif » –, la soirée devient une fête de village qui déborde, jusqu’à assumer pleinement son statut d’espace vide aux possibilités infinies, d’où tout peut surgir.

La trame de ce rituel est bigarrée et rhapsodique : elle coud ensemble des énergies opposées, comme un pantalon d’Arlequin, dans un jeu de contrastes qui lie une légèreté de nuage à une profondeur de grotte.Une cérémonie tisse ensemble des instants d’agitation festive extrême avec des moments de calme intense, et réunit le temple et le chapiteau, le lac et la rivière, la montagne et la vallée, ou plus simplement la tempête et le terrible, si terrible calme qui la suit. Le Raoul Collectif convoque chimères plastiques et figures de papier dans un chaos d’une jouissance exceptionnelle, où les silences sont lourds des échos de ce qui vient de se passer, et où nos imaginaires peuvent planer, à l’image du ptérodactyle marionnettique qui veille sur la scène.

Sans cesse perturbée, ou plutôt renouvelée par de micro-événements, la veillée qu’ils constituent traverse les énergies et les théâtres : musique, cirque, masques et marionnettes apparaissent comme des ponctuations oniriques, bruyantes et silencieuses, festives et mystérieuses, qui viennent compléter le panthéon de papier que la troupe revendique et questionne. De ce chaos, on retient tout de même une structure dialectique à trois têtes : l’élan poétique de Don Quichotte amène sa joie et son ardeur au premier moment de la pièce, en opposition avec le réalisme de son valet qui devient le sarcasme d’Hamlet, porté par Jérôme de Falloise puis Jean-Baptiste Szézot. De là émergent des disputes sur le fond comme sur la forme : le rituel appelle à un consensus, là où le théâtre politique brechtien dont semble hériter le Raoul collectif se base sur la dissension.
Finalement, c’est la figure d’Antigone, magistralement représentée par Anne-Marie Loop, Romain David et Benoît Piret.

Le plus étonnant est que ces épisodes surgissent d’un rien, presque rien. Antigone arrive comme une blague, un sobriquet pour celle qui boit de la cannette quand les autres sont à la mirabelle, et devient le spectre qui hante toute la pièce de ses résonances. C’est peut-être là le principe le plus radical de cette dramaturgie, où le sacré ne peut émerger que du trivial, et le magnifier. Une cérémonie sonne comme un défi que le Raoul Collectif a l’audace de tenir, avec humour et sans pitié.

Une cérémonie du Raoul Collectif © Céline Chariot

Informations pratiques

UNE CÉRÉMONIE – Raoul Collectif

Conception, écriture et mise en scène
Romain David, Jérôme de Falloise, David Murgia, Benoît Piret, Jean-Baptiste Szézot, Yaël Steinmann, Rita Belova

Avec
Leïla Chaarani, Julien Courroye, Romain David, Clément Demari, Jérôme de Falloise, Anne-Marie Loop, David Murgia, en alternance avec Yaël Steinmann, Benoît Piret, Jean-Baptiste Szézot

Scénographie Juul Dekker
Costumes Natacha Belova