« Les Vagues », d’après Virginia Woolf, adaptation et mise en scène de Pascale Nandillon et Frédéric Tétart au Théâtre du Soleil

Article de Céline Coturel

Nèbuleuse et existentialisme

Un banquet sans victuailles, fait de fumée, de plantes séchées et de couverts d’argent ; des hommes et des femmes, solitaires, assis dans la pénombre. La compagnie Hors Champs adapte le roman-poème de Virginia Woolf, Les Vagues, dont la force centrifuge est l’absence. Le texte, magnifique, de brume et de fièvre entêtante, est choisi dans la traduction de Marguerite Yourcenar. “Entre le repas qui précède le départ de Perceval pour les Indes et celui qui rassemble les six locuteurs après sa mort”, la pièce nous entraîne à bord d’un voyage obscur, sans issue, oscillant entre théâtre, littérature et vidéo.

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© Léo Jouglet Zakri

Six êtres en mal de vivre, que l’absence d’un personnage affecte profondément, èrent sans paraître se voir au milieu d’une pièce sombre. Rhoda, Jinny, Suzanne, Neville, Louis et Bernard se retrouvent et parlent par nécessité, énumèrent leurs souvenirs, leurs sensations intérieures dans des récits séparés. Perceval est le point central de la pièce, de son début à sa fin. Pourtant, à l’image de ce banquet vide de matière organique, il n’est que vent, mots, perdition, n’existant qu’à travers la parole de ceux qui l’ont connu. « L’instant ne prépare pas à l’instant qui suit », prophétise l’une des protagonistes. Il n’est pas venu au dîner, il ne rentrera jamais de voyage. L’oeuvre peut trouver échos avec certaines phases de la vie où l’amertume est à son comble, où l’on se sent déçu par l’humanité tout entière. Où soudainement tout bascule et qu’on ne peut comprendre ceux qui se réjouissent d’être en vie. Alors on sonde son moi intérieur, et la prise de conscience de ce que l’on devient est insoutenable.

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© Léo Jouglet Zakri

Par conséquent, Pascale Nandillon et Frédéric Tétart choisissent de montrer peu de contrastes entre les personnages. Le jeu est uniforme, le ton est monocorde, frisant la névrose. Ils sont statiques, désabusés, élevant parfois la voix, lisant pour retrouver le calme, à la lumière d’une lampe de poche, des extraits de Virginia Woolf. Un texte qui s’évanouit, couvert par la voix d’un autre. Il ne s’agit pas d’une pièce où les acteurs sont mémorables. Ici, ils sont texte, voix et souffrance commune.

Les lieux semblent tombés en désuétude. L’espace est décomposé par des panneaux transparents que l’on déplace tantôt pour créer une ouverture, tantôt pour isoler un personnage. La table dressée au centre paraît n’avoir jamais été débarrassée ; a-t-elle seulement servi ? Dans ce clair-obscur constant, le plexiglace ajoute à la complexité du décor. Il diffuse les rayons faibles des lumières artificielles, tranchant avec le feu jaillissant d’une allumette que l’on craque.

Un homme est là, qui filme le banquet à la loupe, rétro-projetée en direct sur un écran. Les couleurs surannées apportent un charme inespéré à la pièce. Le cameraman paraît faire partie intégrante des personnages, tant son allure flegmatique et sa silhouette de dandy le fondent dans le décor. L’homme scrute, caméra au poing, les détails oubliés de la table abandonnée. Comme on poserait son regard sur un paysage endormi qui autrefois avait des splendeurs.

 

Les Vagues

d’après le roman de Virginia Woolf

traduction Marguerite Yourcenar
Une création de l’Atelier hors champ
Conception, adaptation et réalisation Pascale Nandillon et Frédéric Tétart

Avec Serge Cartellier, Nouche Jouglet-Marcus, Jean-Benoit L’Héritier,

Aliénor de Mezamat, Sophie Pernette, Nicolas Thevenot

Lumière Soraya Sanhaji et Frédéric Tétart

Son Sébastien Rouiller

Image Frédéric Tétart

Construction décor François Fauvel

Costumes Odile Crétault

 

Du 21 septembre au 9 octobre 2016

 

Théâtre du Soleil

La Cartoucherie

Route du Champ de Manoeuvre

Paris 75012
http://www.theatre-du-soleil.fr