« LE RADEAU DE LA MEDUSE »  Le radeau à la dérive, que sombre l’innocence. 

Après un passage remarqué au Festival d’Avignon 2016, Thomas Jolly et le groupe 42 des élèves du Théâtre National de Strasbourg débarquent aux Ateliers Berthier avec leur Radeau de la Méduse, un spectacle taillé dans la brume, effroyable et saisissant.

Toute l’humanité se croise, se heurte et se rencontre dans ce canot de sauvetage dérivant entre deux frontières, sur les flots instables d’une mer en guerre. La rencontre du texte de Georg Kaiser, un langage brute et intense dans la bouche d’enfants, dérivant eux-même entre innocence et barbarie. Année 1940, sur les vagues entre l’Angleterre et le Canada, un navire tente d’éloigner des enfants des horreurs de la guerre. Pris en chasse par l’ennemi, il sombre en pleine mer, laissant sur ses flots des canots d’orphelins. La voix de ce conte cruel émane de ces vagues noires, rideau ondulant entre la salle et le plateau. Thomas Jolly trouve dans cette ouverture scénographique la majesté et la fureur de l’océan, dans lequel se dessine dans un travail de clair-obscur remarquable, la barque de ces douze enfants.

Tous les corps se serrent, se réchauffent, se soutiennent dans un huit-clos océanique qui va les déchirer. Caché à l’intérieur des victuailles, P’tit Renard – le plus jeune d’entre tous – se rajoute au voyage. Du nombre treize se déploie la tempête. Les rafales du fanatisme religieux, du bouc-émissaire, de la manipulation et du sacrifice déferlent sur le radeau de l’innocence. Une micro-société se constitue entre eux, celle d’enfants tentant de survivre et de se construire avec les mots d’adultes. Et finalement, n’en récolter que leurs maux. Le destin de ce radeau se heurte avec fracas à l’actualité, comme un écho étourdissant. Ces enfants transportent malgré-eux les images des crises migratoires, de la monté de l’extrémisme religieux, de l’Histoire qui se répète.

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© Jean-Louis Fernandez

Les douze comédiens du TNS (et Gaspard Martin Laprade qui prête avec une très belle justesse sa voix et sa présence en alternance) forment un ensemble cohérent et soudé. Avec un jeu brut, loin des stéréotypes de l’enfance, chacune de ces silhouettes percutent avec intensité.

Si la guerre détruit le monde, ce dernier pollue et nécrose l’enfance à sa base. Une avancée fatale vers la barbarie. De ce spectacle sombre, la maîtrise de Thomas Jolly peint un écrin romantique et lugubre qui vogue des tableaux de Rembrandt aux lumières rappelant La Cité des enfants perdus. Un grand écart culturel qui confirme encore une fois la dimension populaire de ses créations, créant le manque et l’attente de la prochaine. 

Informations pratiques

Auteur(s)
Georg Kaiser

Mise en scène
Thomas Jolly

Avec
Youssou Abi-Ayad, Eléonore Auzou-Connes, Clément Barthelet, Romain Darrieu, Rémi Fortin, Johanna Hess, Emma Liégeois, Thalia Otmanetelba, Romain Pageard, Maud Pougeoise, Blanche Ricoche, Adrien Serre & Gaspar Martin-Laprade

Dates
Du 15 au 30 juin 2017

Durée
1h45

Adresse
Odéon – Ateliers Berthier
1 rue André Suares
75017 Paris

http://www.theatre-odeon.eu/fr