« TERRASSES, ou Notre long baiser si longtemps retardé » de Laurent Gaudé, Ni terrassés, ni terrifiés

Disponible également en livre numérique et livre audio chez Actes Sud, Terrasses nous donne à entendre un texte choral où la parole est donnée à celles et ceux qui rencontrèrent l’indicible le vendredi 13 novembre 2015 par un doux temps aux airs de fête. L’impatience de se retrouver pour diverses raisons et envies, bavarder, rire, boire, danser, se laisser vivre à l’aurore du week-end va dériver sur un cauchemar que rien n’annonçait. À travers un chant polyphonique, Laurent Gaudé déroule un texte où les gestes, les regards, les quelques mots échangés révèlent l’essentiel de l’humanité au cœur d’une nuit dévorant corps et âmes.

Romancier, nouvelliste et dramaturge né en 1972, Laurent Gaudé participe au paysage littéraire non seulement français mais aussi mondial, publié par Actes Sud. Il a obtenu le Prix Goncourt en 2004 pour Le Soleil des Scorta. Au collège, ses romans sont régulièrement étudiés et ses pièces de théâtre sont jouées sur les plus grandes scènes en France comme à l’étranger. Mis en scène par Denis Marleau, Terrasses sera joué au Théâtre de la Colline à Paris du 15 mai au 9 juin 2024. Engagé dans son temps, les voyages sont pour Laurent Gaudé l’occasion de se « frotter au monde ». « Écrire est, peut-être, une façon de faire retentir le cri des disparus ou des plus démunis. ».

Renouant avec la tragédie contemporaine, le livre Terrasses, se découpe en dix chapitres aux titres qui déplient l’événement par étapes pour entrer dans la couche profonde du tragique. Dans le 1er, le « je » côtoie le « nous » et le « vous » dans des flux de pensées et de conscience. Le 2ème introduit le Hasard qui donne ou prend la mort (avoir la chance ou pas), « Toi, oui. L’autre, pas. » « Il dévie nos chemins avec une joie féroce et donne à l’horreur le nom de destin. » Dans le présent, le futur est tué dans l’œuf. Dans le 3ème chapitre, via les médias, la rumeur se propage dans une gradation de l’horreur et introduit de nouveaux « personnages », commissaire, pompier, ambulancier. Le 4ème met en scène la dernière danse, proche de la transe, où le corps en musique, s’inscrit dans le présent. Les phrases sont réduites à un sujet et un verbe, voire moins. « Ils tirent. Poussez-vous ! « Au sol ! Au sol ! Ils tirent. » Le 5ème chapitre « Dans l’enfer » installe une ritournelle, un refrain qui enroule le destin dans le cercle infernal où faire le mort pour rester vivant sous un mort est l’ultime paradoxe. Le questionnement est ouvert sans fin : « Combien de balles sont tirées ? Combien de corps sont transpercés ? » La loterie des balles est lancée dans l’odeur de sang. Le 6ème chapitre s’articule autour des interventions qui entraînent le massacre du côté du combat, rééquilibrant les forces de cette scène de guerre relevant de la boucherie. La course contre la mort s’engage pour avancer, donner l’assaut et tuer en agissant vite pour frapper au milieu de tas de morts dont les téléphones sonnent. Le bouclier Ramsès de plus de 80 kilos de métal attend l’ordre d’intervention. La force de frappe est cagoulée. Puis, au 7ème chapitre, « Dehors », la devise est : soulager, guérir, sauver avec au 9ème chapitre deux listes : à la vie, à la mort. Le 10ème chapitre « Notre long baiser » boucle l’horreur sur la lenteur de la réparation à venir, la patience du corps et de l’âme…Après l’odeur du malheur, des litres d’eau rougie pour nettoyer le lieu du carnage, vivre à nouveau, sonnés mais pas soumis, pas terrifiés. Pas terrassés. Dans la « sépulture de papier », les morts ne sont pas oubliés dans le silence des cimetières. « La littérature peut opposer à la barbarie l’éternité d’un chant »

Informations pratiques

Auteur(s)
Laurent Gaudé

Prix
14,50 euros

Éditions Actes Sud
www.actes-sud.fr