« TRISTESSE ANIMAL NOIR »  Laboratoire d’une tragédie contemporaine incandescente 

Trois couples d’amis, tous unis par un chassé-croisé de relations fraternelles, (ex-)conjugales, professionnelles et amoureuses, fuient l’agitation citadine pour le calme de la forêt le temps d’un barbecue. Cette soirée estivale en apparence paisible prend rapidement une tournure apocalyptique : les six personnages – Paul, Miranda, Oskar, Jennifer, Martin et Flynn – se réveillent piégés par un incendie fulgurant, pivot narratif qui favorise l’éclosion du tragique. S’impose alors une lente et éprouvante reconstruction pour les survivants de cette catastrophe infernale, certains trouvent un refuge thérapeutique dans l’art (plastique ou chanté), quand d’autres sombrent dans la dépression ou encore renoncent à la vie.

Dans son adaptation de la pièce Tristesse Animal Noir d’Anja Hilling, Grégory Fernandes fait ressortir la dimension mythique du texte et donne naissance à une tragédie contemporaine sur gazon synthétique. Le destin affleure déjà dans le prologue qui prophétise le brasier à venir au travers d’un compte à rebours monumental projeté sur l’écran en fond de scène ou par la fumée envahissante des cigarettes consommées par les comédiens. Les personnages se désincarnent à tour de rôle pour porter un regard omniscient sur eux-mêmes et dévisagent le spectateur, nous donnant ainsi l’impression d’être témoins ou complices de leur effondrement psychologique. Les personnages nous sont donnés à voir comme dans une éprouvette où ils réagissent avec l’infortune qui tombe sur eux. Parmi les comédiens, on retiendra la détresse communicative de Jennifer interprétée par Marie Quicampois et le jeu poignant de Lou Wenzel dans son rôle de mère inconsolable et éplorée.

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© Marjolaine Moulin

Comment représenter un incendie au théâtre ? Ce tour de main technique n’est pas un obstacle pour le metteur en scène qui opte pour une scénographie stylisée, évoquant le feu de façon métaphorique à travers un éclairage en clair-obscur et une projection vidéo. Le climax suscité par l’incendie est atténué par la posture hiératique des comédiens, presque enracinés dans le sol. Malgré l’aspect statique de ces derniers, le travail de la vidéo, de la lumière et du son permet de tenir le spectateur en haleine. La choralité des répliques déclamées en canon crée un chaos polyphonique déstabilisant, les hologrammes vidéo des comédiens retransmis en direct sur l’écran du fond de scène troublent notre perception visuelle qui vacille entre le gros plan et le plan d’ensemble.

En guise d’exergue à la dernière partie, les comédiens troquent leurs tenues d’été contre un bonnet, une attelle et une minerve, dressant ainsi un nouveau portrait déliquescent d’écorchés vifs, d’amputés et d’échevelés. Toutefois, Grégory Fernandes échappe à l’écueil du pathétique par le truchement d’un humour macabre et grinçant : des petits chevaux en plastique noyés dans la soupe, un personnage réifié en sapin de Noël et le look décalé des personnages entre perruque rose et chemise à imprimé léopard. Dans ce registre entre le rire jaune et l’humour noir, les funérailles de Miranda donnent étonnamment lieu à un karaoké et à une chorégraphie euphorique sous une pluie de confettis argentés qui permet de mieux mesurer l’absurdité de la réalité après un tel choc. Comme pour ajouter une discordance supplémentaire, les personnages-narrateurs se mettent eux-mêmes en pause le temps d’assembler ou de désosser le décor sous nos yeux, parti pris intéressant mais qui ne trouve pas véritablement d’écho dans cette pièce.

Tristesse Animal Noir ébruite les cendres d’une humanité en crise, aux prises avec l’instabilité et l’insécurité de nos sociétés contemporaines et réinterroge le devenir du collectif aujourd’hui à l’aune d’une mosaïque éclatée d’individualismes. Un spectacle saisissant dont notre conscience ne sort pas indemne et qui donne matière à méditer.

Informations pratiques

Auteur(s)
Anja Hilling

Mise en scène
Grégory Fernandes

Avec
Claire Barrabès, Clément
Beauvoir, Laurent Cogez, Grégory Fernandes, Pascal Neyron, Yoann Parize, Marie Quiquempois, Lou Wenzel

Dates
Du 13 septembre au 2 octobre 2017

Adresse
Théâtre de l’Atalante
10 place Charles Dullin
75018 Paris

http://www.theatre-latalante.com