« M. »  Dissoudre le genre binaire dans le siphon d’une baignoire, pari relevé. 

Binarité. Bipartition. Bi-catégorisation. Ce préfixe symptomatique d’une société écartelant le genre entre deux pôles déterminants – le masculin et le féminin – vient contaminer la scénographie bifrontale de la pièce M., création collective dirigée par Aurélie Barrin et présentée au théâtre de la Loge. M c’est une lettre commune aux substantifs féminin, masculin, mais aussi à monstrueux, déformation, anomalie, hystérectomie… M. c’est également un nom, celui du personnage intersexe interprété par Julien Varin, qui est réduit à une seule lettre, raccourci évoquant un cas chirurgical atypique qu’on a du mal à nommer. M. c’est enfin un clin d’œil irrévérencieux aux formulaires d’état civil ne figurant que trop rarement la mention « Autre », stigmatisant ainsi le manque de reconnaissance juridique, sociale et médicale des personnes intersexuées.

Comme pour prolonger le flou identitaire à l’égard de ces individus « inclassables » et échappant au cadre normatif binaire, la pièce s’ouvre sur un comédien qui nous tourne le dos, allongé dans une baignoire et dans l’obscurité. Son corps apparaît par fragments, ses cheveux longs s’écoulent d’abord hors de la baignoire, puis c’est un bras qui sort pour saisir un pot de crème ou un micro et enfin un cri d’accouchement qui déchire le silence. De même, le premier contact avec son visage s’opère de façon indirecte, à travers son reflet difforme sur le miroir déformant qui lui fait face. Un monstre, telle est l’image que se fait la logique binaire des nourrissons présentant des « anomalies » anatomiques au niveau de l’entrejambe. Une identité morcelée donc, à l’image de ses organes génitaux eux-aussi sectionnés.

À la fois Ève et Adam, ou ni l’un ni l’autre, le personnage baigne dans une eau baptismale, dans le bassin des réminiscences cauchemardesques de son enfance, lequel devient lit d’hôpital ou table d’opération. Dans son monologue, Julien Varin rappelle en effet qu’afin de conformer les individus intersexués au dogmatisme binaire, le corps médical s’impose le devoir fictif de « réparer », de «soigner » de « cacher » l’ambiguïté sexuelle, ce qui se solde par une opération arbitraire de féminisation ou de masculinisation sur l’enfant concerné.e. Accusant cette normalisation obsessionnelle, ces mutilations chirurgicales et ces injections hormonales, le comédien se livre à nous dans une nudité quasi-totale et affuble ses parties intimes de peinture sanguine contrastant avec son torse badigeonné de paillettes. Son corps malmené malmène à son tour le décor, chiffonnant le papier aluminium et renversant la baignoire comme un cri de guerre pour défendre le droit des intersexes contre cette culture binaire qui fabrique (littéralement, à l’aide de scalpels) le sexe biologique.

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© Jade Lohé

Ce sujet pesant est toutefois abordé avec humour, dans une langue débridée, rythmée et décuplant les jeux sur les sonorités. En effet, suite à un éclairage presque épileptique, alternant le noir complet et les plein-feux, le comédien s’adresse directement au régisseur pour arranger sa « mise en lumière » et éviter ce dernier de « casser son image ». L’allée scénique scindant le public en deux, devient aussi le lieu d’un défilé : le comédien s’enveloppe dans de la cellophane, travestissant ce tissu post-opératoire en robe de haute-couture, tournant par conséquent en dérision son anatomie « déviante ». Il prend également à parti le spectateur et parodie le poinçonneur des lilas de Gainsbourg pour mieux critiquer les actes barbares des chirurgiens qui font des « des trous, des petits trous, toujours des petits trous. »

Voilà donc un début prometteur pour cette première étape de création, qui, à travers le prisme de l’intersexuation et de sa réception aux yeux de la société, élargit la réflexion vers un avenir non-binaire du genre, laissant la place aux « genres fluides » et la possibilité aux individus de se définir librement.

Informations pratiques

Mise en scène
Aurélie Barrin

Avec
Julien Varin

Dates
Du 12 au 15 septembre 2017

Durée
1h

Adresse
La Loge
77 rue de Charonne
75011 Paris

http://www.lalogeparis.fr