La 12ème Nuit de la Marionnette, Dracula de la Cie Plexus polaire – Yngvild Aspeli © Christophe Raynaud de Lage
Le festival MARTO est un temps fort de la programmation du Théâtre Jean Arp. Dédié à la Marionnette, il revient en force cette année, du 10 au 26 mars, avec notamment sa très attendue Nuit de la Marionnette dont on fête la 12ème édition. Petites et grandes formes s’alterneront, une dizaine de spectacles au total, une déambulation et une exposition à découvrir et d’autres surprises tout au long de la nuit pour le plus grand bonheur des passionnés mais pas seulement. Les artistes sont pour la plupart français mais d’autres pays sont aussi représentés. Reconnus ou novices, ils montrent l’éclat et la diversité de la Marionnette contemporaine à travers des propositions surprenantes, drôles ou mystérieuses et contribuent ainsi à faire rayonner cet art d’une grande richesse.
Une fois son parcours de spectacles choisi parmi les neuf proposés, le spectateur rejoint en début de soirée son groupe avec lequel il cheminera jusqu’au petit matin pour les plus motivés et éveillés. Après un mot d’introduction pour ouvrir cette nuit blanche exceptionnelle, le public en nombre dans la grande salle, se plonge dans le mythe de « Dracula », une création de la compagnie Plexus Polaire revisitée par Yngvild Aspeli et librement inspirée par sa traduction islandaise de Valdimar Ásmundsson (auteur de Powers of Darkness). En collaboration avec le Puppentheater Halle, l’équipe de 5 comédiens-marionnettistes sert une histoire tout à la fois mystique, sombre et sensuelle. La jeune Lucy et son amie Mina évoluent dans un espace dépouillé qui se dessine au gré de la narration. Mystérieux, envoûtant, il se construit principalement dans les images (peu de paroles) et les corps qui se répondent par des effets de miroir, de multiplicité et d’un mélange troublant, parfois explosif de corps et de marionnettes protéiformes. Simple porte-voix, la marionnette révèle aussi sur scène toute sa puissance et sa fragilité. Formidable vecteur d‘émotions et de forces aussi bien intérieures qu’extérieures, elle donne de la profondeur au personnage de Lucy et la plonge dans l’abysse de la folie depuis sa chambre. La santé de la jeune femme semble décliner à mesure que le vampire rusé et malfaisant prend possession d’elle. Imposant, démembré, parfois animal, le comte Dracula sait aussi se fondre en un instant dans l’obscurité. Il faut rendre hommage au travail des marionnettistes virtuoses qui restituent avec justesse les mouvements et mènent des transformations étonnantes oscillant entre la vie et la mort. Dans cette mise en scène intimiste, Il est intéressant de voir comment la nature humaine évolue et comment la folie et la monstruosité s’immiscent subrepticement. Dracula est une création plus ramassée que Moby Dick, efficace par sa forme où les marionnettes pleines de vitalité font naître des créatures étranges qui nous donnent des frissons.
Nous retrouvons ensuite Myriam Gautier dans Mytho perso, un seul en scène sur la mythologie grecque et ses secrets. Sous prétexte d’une mini-conférence, mieux qu’une recherche internet, la comédienne déroule les pages ou plutôt les feuilles de papier essuie-tout et conte malicieusement l’histoire des dieux dessinés dessus qui deviennent soudain familiers. Athéna, Dionysos, Écho, Narcisse, Zeus, c’est une véritable galerie de personnages qui livrent leur mythe et leurs mystères. À travers un théâtre d’objets inventif et original, la présentation teintée d’humour noir retient notre attention, ne manque pas de nous faire rire et de nous surprendre. Elle nous emmène jusqu’au Mont Olympe ou à un dîner de famille/divinité mytho, le tout en vaisselle plastique. Petits ou grands hommes, la Bretonne décrit les émotions, la violence, les travers de l’humanité et se laisse aller à quelques anecdotes et confidences. Une véritable saga sans tabous où la mythologie se révèle très tendance. Voilà une petite forme rafraîchissante du collectif Les Becs Verseurs à savourer sans modération.
Continuons avec la mythologie grecque avec Apollon parfois qualifié de Sauroctone, performance de Alan Payon des Enfants Sauvages. Du grec « saûros », le dragon, et « ctonos », le tueur, le comédien-danseur nous entraîne dans un combat interne déroulé en trois actes, les étapes de la transformation. À la frontière entre le mime, la danse, il utilise la marionnette non anthropomorphe (costume-marionnette et chorégraphie). Ce spectacle visuel et chimérique puise aussi dans l’œuvre de romans fantasy de J. R. R. Tolkien, le personnage de Sauron incarne le Mal Absolu. Dans la première partie, le personnage semble se débattre contre ce qui est en train de s’opérer en lui, des pattes d’oiseau poussent dans son abdomen. Ce théâtre physique accompagné de la voix off par bribes et de la musique dans un espace assez réduit ne suffira pas à nous convaincre et à nous faire pénétrer dans cet univers. La deuxième partie avec la projection de fluides colorés et l’ombre du corps dansant du performer est plus propice à montrer le cheminement intérieur et la poésie qui s’en dégage. La troisième partie semble être la libération, l’envol mais la danse marionnettique effectuée devant un projecteur laser irradiant ne semble pas être un choix approprié. La proposition globale manque de liant et de finesse pour apprécier pleinement ce combat et la métamorphose.
Sur la scène épurée plongée dans la pénombre, le public découvre « 3 », la nouvelle création du Théâtre des Tarabates dirigé par Philippe Saumont. À travers un voyage introspectif et poétique, se libre un corps à corps déroutant et sensuel (corps marionnettique/objet et corps vivant/marionnettiste) avec la mise en lumière d’une multiplicité de corps hybride, pantin, corps au seuil de l’organique qui ouvrent le champ des possibles. La mise en scène explore la rencontre entre le corps vivant et le corps inanimé, la questionne et montre les dialogues qui s’opèrent dans les différents états de corps. Du petit masque au début, manipulé minutieusement par les doigts de Valentin Arnoux au corps en bois dont il s’empare tel un pantin, le cheminement est spectaculaire et amené intelligemment montrant l’étendue de l’art de la marionnette. La dramaturgie est portée par la fragilité de ses corps en construction, entre la vie et la mort, une manipulation de précision et la musique de Fanny Chériaux qui accompagne cette communion et prête vie à la marionnette. Une pièce intimiste profondément humaniste, touchante, comme une douce rêverie qui rend un bel hommage à la marionnette.
Mytho perso du collectif Les Becs Verseurs / « 3 » du Théâtre des Tarabates, mise en scène Philippe Saumont
Freeticket de la Compagnie Léna D’Azy – Cécile Léna / Mulan, de et par Ornella Amanda
Alors que nous arrivons à la deuxième partie de la nuit, nous faisons une halte à l’exposition Freeticket de la Compagnie Léna D’Azy. Une fois notre billet en main, nous embarquons dans le compartiment d’un train. Nous quittons le quai et c’est le début du voyage entre l’Amérique et l’Extrême-Orient. Bruitages, bandes sonores, texte susurré et vidéos nous transportent dans l’histoire d’un boxeur à la dérive qui doit faire le choix de sa destinée. La scénographie riche et minutieuse de Cécile Léna laisse libre court à notre imagination. Et les maquettes qui s’éclairent à mesure dessinent des tableaux ravissants. Bravo à toute l’équipe pour ce beau spectacle immersif.
Mulan, de et par Ornella Amanda conte l’histoire de cette célèbre guerrière. Dans ce 3ème volet du spectacle Héroïnes, la comédienne s’inspire du poème chinois « La ballade de Hua Mulan » et nous offre un voyage à travers la Chine médiévale. La beauté des images qui surgissent, les jeux d’ombres, de papier et les marionnettes mettent nos sens en éveil et nous immergent dans cette épopée fantastique avec la musique originale d’Alexandre Horiot. La manipulation est rapide, efficace tout en gardant la délicatesse de la chevalière travestie qui sait aussi se montrer âpre au combat. Face au dragon, se livre un corps à corps remarquable souligné par un bel éclairage. Cette quête onirique et haletante interroge la place de la femme et de ce qui rend héroïque.
De nouveau installé dans la grande salle, le public découvre la dernière création de la Compagnie Belova – Iacobelli, Loco. Comme pour leur premier spectacle Tchaïka en 2018, la marionnettiste belgo-russe Natacha-Belova et la metteuse en scène chilienne Tita Iacobelli abordent le thème de la solitude, de la démence et de la névrose. Après l’adaptation de La Mouette de Tchekhov, elles s’attaquent ici à la nouvelle Le journal d’un fou de Nikolaï Gogol. Dans l’intimité de sa chambre, le fonctionnaire Propichtchine se libre sur sa vie, ses émois épris de Sophie, la fille du patron. Un amour irrationnel qui pousse le petit copiste en bas de l’échelle vers un imaginaire débordant et la folie des grandeurs. Nous suivons le fil de sa pensée et le voilà plein d’espoir oscillant entre de douces rêveries et des divagations. La scénographie et la marionnette manipulée si particulièrement par le duo soulignent la fragilité du personnage, ses excès, le trouble mental voire la schizophrénie. Sur ce thème délicat et malgré une certaine noirceur, les comédiennes Belova – Iacobelli nous offrent un moment d’évasion, de poésie où l’extraordinaire peut surgir à tout instant. Bravo pour ce travail !
(Cf. Critique Théâtreactu de Max Loiseau Loco lors de la 12ème Nuit de la Marionnette au Théâtre Jean Arp)
Avec Les Chimères d’Onirie, petite forme d’Allebilles, le collectif Les Grandes Personnes nous entraîne dans une déambulatoire lumineuse à travers la ville, en direction du conservatoire. Mené par un duo marionnettique enjoué et farceur composé d’un crapaud et d’un grand oiseau dont l’apparence est inspirée des Alebrijes mexicains, chimères de papier mâché particulièrement oniriques et colorées. Soutenus par une bande-son, diffusée par enceinte autonome, ils dansent allègrement sous le clair de lune et emmènent avec eux les spectateurs amusés. Jouant de leurs différences, ces créatures fantastiques savent communiquer en lumière (le manipulateur contrôle l’éclairage grâce à des commandes fixées sur les cannes) et en mouvements, s’amusant au gré des événements cocasses ou inattendus. Un beau moment de partage et de poésie au coeur de la nuit.
Sur le plateau nu, assise sur un petit banc, Marina Simonova présente Le Mémorieux, un solo dans lequel le personnage principal tiré de la nouvelle de Borges, Irénée Funes, est représenté par une marionnette portée au visage expressif. À la suite d’un accident, il développe des capacités exceptionnelles, capable de tout mémoriser. Si à première vue cela peut être avantageux, cela va devenir pour Funes très envahissant à l’image du lierre artificiel qui semble le constituer. Il reprend la narratrice, force sur les détails et son monologue se trouble bientôt par le cheminement de sa pensée qui ne lui laisse plus de répit. La folie le guette. Un temps d’introspection onirique, où l’on voit tout à la fois la force et la fragilité de l’être, et qui a suscité toute notre attention. Tout comme le mot de la fin de l’artiste russe qui dit avec force « Non à la guerre » en Ukraine et souligne son engagement.
Tout/Rien de la Compagnie Modo Grosso porte bien son nom. Puisqu’au départ, la scène quasi obscure est vide et l’homme assis commence des manipulations étonnantes telle une chaînette à billes qui joue avec les lois de la gravitation et se déverse indéfiniment ou bien agitée dans les mains du Belge Alexis Rouvre, elle dessine des formes fluctuantes dans l’espace. Puis un fil de tricot tiré crée autour de lui une construction complexe qui se déconstruit avec tout autant de facilité lorsqu’il tire sur ce même fil, où l’on saisit toute la force et la fragilité de ce qui nous entoure. Avec un jeu de lumières et le frottement de deux pierres noires volcaniques d’où s’échappe poussière et fumée, l’artiste nous donne à voir le temps qui passe, qui s’écoule indéfiniment. Voilà de petits riens entre ombres et lumières qui guident la narration et habitent l’espace. Et subtilement, ils amènent l’inédit, le spectaculaire et même la magie et donnent un « Tout » remarquable et bien rythmé.
Loco, Cie Belova-Iacobelli © Matteo Robert Morales / «Les Chimères d’Onirie» du collectif Les Grandes Personnes /
«Le Mémorieux » de Marina Simonova © Christophe Loiseau /
Troisième oeil par Les Chevaliers d’Industrie / Tout Rien de la Compagnie Modo Grosso © Angela Malvasi /
Sueňo de la Cie Singe Diesel © Virginie Meigné
Accueillis par une cartomancière, le public pénètre dans l’univers de la Compagnie Les Chevaliers d’Industrie avec Le Troisième Œil issu du spectacle Lazarus. La mise en place des numéros de prestidigitation semble volontairement décousue voire râtée et la scène est visiblement trop grande pour cette forme plus habituée à la rue et aux parcs. Déterminé et malicieux, Lazarus Bartabak nous présente Fosco, la première marionnette médium et utilise la magie, les effets de surprise et les interactions avec les spectateurs pour maintenir l’attention malgré l’heure très avancée. Le comédien-manipulateur, à l’aise dans cette partition tragi-comique, insuffle une certaine dynamique et beaucoup d’humour. Une proposition légère et entraînante pour petits et grands.
De retour au Théâtre Jean Arp pour la dernière grande forme qui clôt cette nuit intense, Sueňo (le rêve) de la Cie Singe Diesel. Un univers onirique installé sur scène, le spectateur se laisse petit à petit envahir par la poésie irrésistible qui se dégage du personnage Tom, un homme aveugle qui vit dans la rue. Son imaginaire très riche et ses rêveries nous portent vers un ailleurs où tout devient possible. Le marionnettiste Juan Perez Escala nous guide habilement dans l’intimité de cet être, un instant suspendu de toute beauté. Inspirée par le « Major Tom » de David Bowie, la performance marionnettique est une délicieuse invitation au voyage. Au terme de cette Nuit de la Marionnette intense et de qualité, les spectateurs assidus et encore éveillés ont eu le privilège d’admirer à l’aube un magnifique tableau : un ciel rosé et violacé avec des nuages épars, comme le prolongement d’un rêve.
Informations pratiques
Festival MARTO ! 22ème édition – MARIONNETTES & OBJETS
Dates
Du 10 au 26 mars 2022
Nuit de la Marionnette Édition #12
12 mars 2022 de 20h à 6h
Adresse
Théâtre Jean Arp
22, rue Paul Vaillant-Couturier
92140 Clamart
Informations complémentaires
Théâtre Jean Arp
www.theatrejeanarp.com
Festival MARTO !
http://www.festivalmarto.com