« 13ème Nuit de la Marionnette » au Théâtre Jean Arp à Clamart – Festival MARTO !, 23ème édition du 11 au 25 mars 2023

13ème Nuit de la Marionnette, Le Horla des Anges au plafond © Jonas Coutancier

Le petit monde de la marionnette francilienne a profité de deux grands événements cette année : l’ascension du Mouffetard au rang de CNMa, fruit de sa collaboration avec le Théâtre aux Mains Nues, et la fusion des théâtres Jean Arp et de Châtillon pour former le TCC. C’est justement ce dernier qui était chargé d’organiser la Nuit de la marionnette, clou du spectacle du Festival MARTO, qu’on a retrouvé dans nombre de salles des Hauts-de-Seine, de Clamart à Bagneux en passant par Malakoff. Avec seize spectacles répartis en neuf groupes, la nuit promet d’être bien remplie, et des compagnies bien installées comme les Anges au Plafond partagent l’affiche avec des praticiens pour le moment moins connus tels que Rakoo de Andrade, fraîchement diplômée de l’ESNAM. Mais au-delà de l’expérience, c’est aussi la diversité linguistique qui frappe dans cette édition, avec un grand nombre d’artistes pratiquant d’autres langues comme l’tialien, l’espagnol ou l’allemand. Tous se sont réunis cependant pour parler un langage commun, celui des gestes et des images, qui varie pourtant d’une troupe à l’autre. Cette édition est également marquée par une collaboration extensive avec le conservatoire Henri Dutilleux, à la pratique fortement ancrée dans le masque et la marionnette ; l’occasion de se faire mieux connaître et de recruter, peut-être, assez d’élèves pour pouvoir prétendre à l’ouverture d’une CPES – un immense pas en avant dans la formation marionnettique à l’échelle parisienne. Une nuit importante à plusieurs égards, donc.

En plus des neuf parcours proposés, un parcours Blanc permet à la presse de naviguer entre les groupes pour personnaliser sa nuit au maximum – ce qui ne fut malheureusement pas suffisant pour voir l’intégralité des spectacles, tant la massive programmation demande des choix durs, mais nécessaires. Au milieu de ce fardeau du choix, trois spectacles constituent néanmoins un rendez-vous commun où l’ensemble des spectateurs se retrouvent dans la grande salle. C’est le cas de « Le Horla », nouvelle création des Anges au Plafond avec Jonas Coutancier pour la première fois en tête du projet, mais tout de même assisté à la mise en scène par Brice Berthoud et Camille Trouvé. Seuls sur scène, Joans Coutancier et la violoncelliste Solène Comsa nous immergent dans un cadre intimiste, inspiré de la forme du journal intime, qui voit la descente aux Enfers d’un anonyme atteint de démence. Ce schéma attendu est pourtant contrebalancé par le pari que fait le metteur en scène-interprète de brouiller son rôle par plusieurs apartés à l’avant-scène, qui devient un espace d’authenticité pour l’acteur et ses secrets. Les plus beaux moments de sincérité sont ceux qui suivent les frasques du circassien, où le corps libère l’esprit. C’est au niveau de la dramaturgie que la pièce a plus de difficultés, et si l’on se demande à plusieurs reprises où elle veut en venir, la politisation finale du discours semble sortir de nulle part. Malgré cela, le spectacle surprend constamment par l’ingéniosité de ses effets, qu’ils soient scénographiques ou marionnettiques – une frontière que les Anges au plafond aiment piétiner – et par son atmosphère fascinante, qui vacille entre la tendresse et l’inquiétant.

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13ème Nuit de la Marionnette, Le Horla des Anges au plafond © Jonas Coutancier

Ensuite, direction le conservatoire Henri Dutilleux, au cours d’une déambulation masquée assurée par plusieurs de ses élèves. Musique, marche synchronisée et pitreries en tous genres jalonnent cette traversée nocturne en compagnie d’une partie de la nouvelle génération de marionnettistes. Les élèves se livrent également à plusieurs impromptus marionnettiques, dont le service du café dans l’enceinte du conservatoire, ainsi qu’à une intervention plus tard dans la soirée sur le concept de changement d’heure. Bien que le résultat ne soit pas d’un niveau professionnel, il faut saluer l’engagement et l’entrain des étudiants, leurs ambitions ludiques, et la démarche de les inclure dans un festival de cette ampleur.

Arrivé sur place, on peut assister dans l’auditorium à une des révélations de cette soirée : l’excellent « Tria Fata » de la Compagnie La Pendue, un cabaret marionnettique déjanté qui jongle sans cesse entre les formes. Si l’histoire reste simple – voyant la Mort arriver, une vieille dame lui raconte sa vie pour gagner du temps – c’est qu’elle sert surtout de toile à la performance technique d’Estelle Charlier et Martin Kaspar Orkestar. On peut ainsi voir le musicien jouer simultanément de la batterie, de la clarinette ou de l’accordéon, tandis que la manipulatrice fait vivre à la fois la Mort par un masque total, et son interlocutrice via une marionnette à prise directe. Cela ne paraît pas incroyable, mais a pour effet de séparer le jeu de l’actrice en deux fonctions simultanées : le visage joue un personnage pendant que la voix joue l’autre. La Compagnie reste de plus fidèle à ses origines en incluant l’utilisation de marionnette à gaine, qui a perdu en popularité ces dernières années du fait de son irréalisme et de son image enfantine. Ici, la représentation première de la Mort sous cette forme permet d’instaurer une ambiance burlesque, assistée également par l’énergie de la musique. L’histoire de la vieille dame donne lieu à une suite de formes ingénieuses qui ne cesse d’évoluer, et le jeu avec ; au fil de la narration, les procédés vont vers plus d’abstraction, jusqu’à une suite de diapositives étrangement vivante qui constitue un superbe et mémorable exemple de jeu avec la vidéoprojection.

C’est dans une plus petite salle qu’on assiste ensuite à « Couveuse », forme courte de la Compagnie Infra où Sophie Mayeux manipule un petit être fragile à l’intérieur d’une boîte transparente qui donne son nom à la pièce. L’accoutrement médical de la marionnettiste complète la métaphore de son rôle de mère ou de guide pour cet être fragile en pleine (re)naissance et découverte de son nouvel habitat. Malgré une mauvaise visibilité due à la disposition des spectateurs dans la salle – la forme est à une échelle très petite – le résultat surprend par son dispositif et sa manipulation atypique, appuyés par une manipulation chirurgicale.

Ce sont des thèmes à la fois semblables et contraires qu’on retrouve juste après dans « N’être » du Théâtre de l’Heure bleue, à nouveau dans l’auditorium : l’étrange renaissance laisse place à l’accouchement paisible de ce qui semble être une créature morte-née. Forme sans parole, N’être est une expérience pleine de tendresse, mais qui laisse exister une face plus sombre. La marionnettiste apparaît d’abord comme une figure maternelle et nourricière pour ses énormes marionnettes en prise directe, à l’image d’une sage-femme accompagnant la mère dans sa lutte. Mais très vite, l’apaisement de l’accouchement prend des airs d’agonie, et la guide semble la guider vers un voyage qui a quelque chose d’ultime. Si le grand calme de la forme fait parfois qu’elle peine à se renouveler, elle laisse entrevoir un arrière-plan plus énigmatique, à l’image des jeux de dévoilement de ses marionnettes en poupées russes. Mais le plus marquant reste la construction de ces créatures, à la fois étranges et familières, douces et inquiétantes, qui résument à merveille l’ambivalence de la pièce.

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Couveuse- photo de Emma Schoepfer
lapendue_triafata3c Tomáš Vimmr
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Tria Fata de la Compagnie La Pendue © Tomáš Vimmr Photo 1 et 2 /
Couveuse de la Compagnie Infra © Emma Schoepfer / N’être du Théâtre de l’Heure bleue © DR

De retour au théâtre, après un repas mis en place dans le marché couvert de Clamart, c’est l’heure du deuxième temps fort de la soirée : « Ascension » de la Cie Sitio. Au pied de la tour d’une multinationale, un cadre déchu au rang de mendiant se raconte des histoires et rêve de récupérer sa place au 88e étage. Tout en s’ancrant dans ce cadre réaliste, la pièce parvient à garder assez de mystère pour fonctionner en allégories, et produire un monde fantastique à la limite du merveilleux. La tour fonctionne ainsi comme un symbole du monde de l’entreprise et de la dimension arbitraire, voire absurde de son ascension. On peut aussi en retenir Horace, personnage fabuleux de tête d’éléphant qui sert d’ami imaginaire au protagoniste, à la fois tendre et malicieux, mais aussi de canal à ses pulsions – bien que cet aspect ressorte de manière assez maladroite dans une scène d’agression sexuelle dont on peine à comprendre l’objectif. Hormis cela, la vraie force du spectacle est l’incroyable technicité de son jeu marionnettique : à l’image d’Horace, simple tête dont le corps (ou plutôt son absence) reste caché dans l’ombre, le spectacle ne cesse de convoquer des figures à la frontière scénique de l’ombre et de la lumière. Manipulées à plusieurs avec une efficacité époustouflante, ces apparitions jouant sur la composition en 2D de l’image produisent l’impression d’une succession de fantômes qui viennent tourmenter l’ex-cadre par leurs promesses de gloire. Malgré un jeu parfois inégal, tributaire de son équipe internationale, Ascension se démarque par sa liberté poétique et par sa capacité à rompre le rythme pour proposer des images fortes, auxquelles on prend plaisir à repenser.

C’est ensuite dans la salle de cinéma qu’on assiste à l’excellent « Pinocchio » du Maribor Puppet Theatre, autre superbe découverte de la soirée. Pour raconter l’histoire du pantin qui voulait devenir un homme, le metteur en scène Matteo Spiazzi prend le parti de revenir à l’atelier du menuisier. Le comédien Miha Bezeljak se retrouve entouré d’outils et de matériaux liés au bois dont il tire ses personnages, passant de l’accessoire à la marionnette ou encore à l’effigie avec une vitesse et une fluidité qui pourraient faire peur, mais convainc par la qualité de son exécution. Impertinent, imprévisible et surtout d’une constante ingéniosité, le Pinocchio du Maribor Puppet Theatre accomplit quelque chose de très proche de l’idéal.

A peine sorti du précédent spectacle, il faut vite s’engouffrer dans un dédale d’escaliers et de couloirs pour enfin trouver la petite salle de réunion où se joue « The Game of Nibelungen » de la Compagnie du Botte-cul «– preuve, s’il en fallait une, que toutes les salles du théâtre ont été mobilisées. Pourtant, la configuration de la salle n’est pas une mauvaise expérience, tant le spectacle imaginé par Laura Gambarini et Manu Moser se nourrit de cette proximité avec le public. Sur « scène », à deux mètres du premier rang, Laura Gambarini présente un pastiche de cours d’allemand ayant pour sujet l’Anneau du Nibelung. Entièrement joué en allemand, le spectacle parvient pourtant à se faire parfaitement comprendre, et s’arrête souvent pour demander à la « classe » la traduction d’un mot – au prix de gommettes qui deviennent vite très convoitées. Tout cela ouvre la voie à un spectacle constamment ludique et participatif, doté d’un goût prononcé pour l’artificialité débrouillarde du théâtre d’objet, et qui permet une véritable expérience partagée.

Le jour commence à se lever lorsqu’on assiste à « Le Vide entre la tête et la queue », seul en scène mystérieux de Rakoo de Andrade. Ce qu’on pense d’abord n’être qu’une marionnette solitaire de crocodile cache en fait la manipulatrice, lovée dedans comme dans un duvet. S’engage alors une lutte ambivalente, parfois de séduction, parfois de force. Au travers des rares paroles de la prisonnière et d’un jeu physique qui souligne l’érotisme de la situation, la geôle confortable que constitue le ventre du reptile devient une allégorie de relation toxique. Car le prédateur est lui-même manipulé de manière innovante et franchement spectaculaire par l’ensemble du corps de sa victime, qui lui donne vie tout en même temps qu’une certaine qualité d’immobilité. Elle-même actrice de cette relation, hésitant parfois entre la fuite ou le retour, Rakoo de Andrade évite sa propre victimisation et propose un petit mystère à la technique peu orthodoxe.

Enfin, quelle meilleure manière de conclure cette soirée que par un spectacle sur l’obscurité ? Entre théâtre de lumière, de marionnette et cirque, « El meu nom es Hor » traduit une quête de l’étrange. Las des théories philosophiques qui cherchent à mettre en lumière le monde, Wanja embarque son ami Adria dans un voyage vers son pays natal, qu’il pense connaître parfaitement. Pourtant, une grotte inconnue les attend là bas. De plus en plus loin du sens et de sa lueur, Wanja Kahlert et Adrià Montaña interrogent leur essence dans le mystère de l’obscurité, et façonnent une compréhension tacite en intérieur du monde à partir de leur relation. Le cirque et la marionnette se rencontrent dans la notion d’appui, et dans l’écoute subtil des corps muets. Sortis de la grotte de la grande salle, on découvre un nouveau jour sur le parvis du théâtre.

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Pinocchio 1 Boštjan Lah
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Pinocchio 2 Boštjan Lah
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Ascension de la Compagnie Sitio © DR Photo 1 et 2 /
Pinocchio du Maribor Puppet Theatre © Boštjan Lah Photo 3 et 4 /
Le Vide entre la tête et la queue de Rakoo de Andrade © Christophe Loiseau /
El meu nom es Hor de Wanja Kahlert et Adrià Montaña © DR

Informations pratiques

Festival MARTO ! 23ème édition – MARIONNETTES & OBJETS

Dates
Du 11 au 25 mars 2023

Nuit de la Marionnette Édition #13
25 mars 2023 de 19h30 à 6h

Adresse
Théâtre Jean Arp
22, rue Paul Vaillant-Couturier
92140 Clamart

Informations complémentaires
Théâtre Jean Arp
www.theatrejeanarp.com

Festival MARTO !
http://www.festivalmarto.com