« 20 000 Lieues sous les mers », de Jules Verne, adaptation et mise en scène Christian Hecq et Valérie Lesort au Théâtre du Vieux Colombier

Article d’Ondine Bérenger

Le bal des abysses

Nous sommes en 1867. Un soi-disant monstre marin a fait sombrer la frégate américaine Abraham Lincoln, venue le combattre. Le harponneur Ned Land, le professeur Aronnax et son serviteur Conseil ont été précipités à l’eau, et les voilà, se réveillant à l’intérieur du monstre métallique qu’est le sous-marin Nautilus, dirigé par le capitaine Nemo à travers les mers du globe. Ils sont condamnés à rester prisonniers toute leur vie de ce navire et de cet homme étrange et misanthrope qui a fui le monde des hommes.

C’est ainsi que le spectateur est plongé in situ, dans le salon du Nautilus, en compagnie des trois rescapés de l’Abraham Lincoln.
La scénographie est splendide : le salon du sous-marin regorge de livres, d’instruments étranges, ampoules et leviers mystérieux qui rappellent à merveille l’ambiance des œuvres de Jules Verne. Un large hublot révèle la noirceur des profondeurs abyssales, certains éléments du décor vont et viennent, disparaissant sous la scène, quittant le Nautilus ou montant sur le pont supérieur habilement suggéré en diverses occasions.
C’est dans ce décor foisonnant de pièce à machines que nous découvrons Ned (Christian Gonon), Conseil (Jérémy Lopez) et Aronnax (Nicolas Lormeau), et faisons, avec eux, la rencontre du capitaine Nemo, incarné par Christian Hecq, ici loin des rôles comiques qui ont fait sa réputation.

2OOOO lieues sous les mers_003_(c)Brigitte Enguérand, coll.CF© Brigitte Enguerand

En effet, il nous donne à voir en le personnage du capitaine Nemo un homme blessé, aussi misanthrope qu’humaniste, mystérieux, nuancé et captivant. Autour de lui, l’équipage est condensé en un seul personnage au langage surprenant, le Second, Flippos (incarné par Louis Arene), attachant et drôle, sans tomber dans le ridicule.

On retrouve assurément dans cette adaptation la patte de Christian Hecq, qui ajoute à l’histoire originale une dimension humoristique importante, qui adhère étonnamment bien au reste de la pièce. L’interprétation de tous les personnages est remarquable : Ned Land, Conseil et le Professeur Aronnax sont aussi amusants que naturels, Flippos et le Sauvage (Elliot Jenicot) sont touchants dans leur comique exacerbé, le capitaine Nemo est étrangement fascinant. La voix off (Céline Brune) rappelle toujours la pièce à l’œuvre originale, mettant en avant son appartenance au genre du roman ; singulière et captivante, elle est pourtant assez peu présente, on le regretterait presque.

2OOOO lieues sous les mers_001_(c)Brigitte Enguérand, coll.CF© Brigitte Enguerand

Mais ce à quoi tient surtout la magie de la pièce, c’est certainement à son excellent jeu de marionnettes à gaine, réalisé par les comédiens formés par Christian Hecq. En effet, nombreux sont les poissons qui dansent derrière le hublot géant du salon, plongeant le spectateur dans cette apesanteur abyssale, ce délicieux flottement aquatique qui fait croire à la réalité de ce voyage dans le Nautilus. Ces marionnettes muettes, aux personnalités pourtant bien trempées, donnent lieu à des scènes d’une rare poésie teintée d’un humour certain : danses de poissons et de méduses, randonnée sous-marine en scaphandre, attaque d’un poulpe géant ou rêve d’Aronnax, l’émotion esthétique est telle que l’on voudrait pouvoir profiter plus longtemps de ces instants de grâce, omniprésents et pourtant encore trop rares et trop courts.
L’utilisation de ces marionnettes permet également d’éviter d’éventuelles projections ou effets spéciaux, ce qui donne à la pièce un air très authentique, crédible, et respectueux de l’esprit de Jules Verne.

Le seul bémol éventuel de la pièce sera finalement son achèvement qui, bien que s’inscrivant dans la continuité du comique hecqien, arrive de manière si brusque après une dernière scène magnifique qu’elle laisse le spectateur décontenancé et comme en suspens : on ne peut sortir si rapidement du Nautilus, et, comme dans toute plongée sous-marine, il aurait pu être appréciable de respecter certains paliers de décompression.

Quoiqu’il en soit, cette adaptation est une grande réussite, qui ouvre en beauté la nouvelle saison de la Comédie-Française. A découvrir.

 

20 000 Lieues sous les mers,
adaptation et mise en scène de Christian Hecq et Valérie Lesort
avec
Cécile Brune : Voix off
Christian Gonon : Ned Land, maître harponneur, et manipulation
Christian Hecq : Le capitaine Nemo, et manipulation
Nicolas Lormeau : Le Professeur Aronnax, et manipulation
Jérémy Lopez : Conseil, serviteur du professeur Aronnax, et manipulation
Elliot Jenicot : Le Sauvage, et manipulation
Louis Arene: Flippos, second du capitaine Nemo, et manipulation
Scénographie et costumes : Éric Ruf
Lumières : Pascal Laajili
Son : Dominique Bataille
Création des marionnettes : Carole Allemand et Valérie Lesort
Assistante à la scénographie : Delphine Sainte-Marie
Assistante aux costumes : Siegrid Petit-Imbert
Fabrication des marionnettes : Carole Allemand, Sophie Coeffic, Laurent Huet, Valérie Lesort, Sébastien Puech
Leds et fibres optiques : François Cerf
Conseil à la manipulation des marionnettes : Sami Adjali
Fabrication du décor : Atelier François Devineau
Du 26 septembre au 8 novembre

Théâtre du Vieux Colombier
21 rue du Vieux-Colombier
75006 Paris
http://www.comedie-francaise.fr/