Un article d’Irène Le Goué
Le septette de Belleville
Découvrez l’intimité des révolutionnaires, des illuminés refaisant le Monde. Puisque « l’homme est un animal triste que seuls les prodiges peuvent émouvoir », dans la petite salle du Théâtre de Belleville, ça rêve haut et fort – et diablement fou ! Assistez aux préparatifs d’une société secrète qui prendra le contrôle de l’État en séduisant d’abord les anarchistes, les étudiants et chômeurs de tout poil puis le reste de la planète.
Une galerie de personnages attablés, dos au public, face à leur miroir.
Leurs différentes peaux-costumes attendant, suspendues à des trapèzes, leurs prises de parole, leur tour de délire. Erdosain au long manteau est courbé dans sa vie triste, le regard bas, piétiné par ses collègues de la Sucrerie et par sa femme. Sa rencontre avec l’Astrologue et ses drôles de sbires le remettra debout. Chacun des membres de cette société secrète, du maquereau mélancolique au chercheur d’or, rêve à son échelle, passionnément. Des pensées démesurées les animent, corps, langue et visage.
La mise en scène de Théo Pittaluga orchestre leur parole en cavale. Le rythme est soutenu, ponctué d’adresses au public drôles, qui détendent l’esprit concentré sur les idéaux et plans d’actions, et permettent de reprendre haleine. Cette adaptation de Los siete locos frôle la partition musicale et la langue puissamment poétique de Roberto Arlt fait danser ses interprètes. Le musicien-compositeur Filip Wojtyra au visage pailleté les accompagne et soutient les discours par la présence tantôt discrète tantôt explosive d’une B.O. théâtrale inspirée.
Les comédiens sont engagés, sincères et passionnants, ils hurlent comme des loups les désirs et les doutes de leurs personnages. Et ils hurlent beaucoup, ce qui fatigue peu à peu l’oreille attentive et pourrait la rendre sourde à leur délire. Pourtant, les interprètes nous attachent à leurs rêveurs ; on saluera la performance de Victor Garreau en mystique éperdu et l’habileté dans les grands discours de Raphaël Mostais, l’Astrologue.
Un regret, pourtant : la partition féminine détonne avec l’ensemble. La seule actrice engage sa beauté et sa voix sensuelle mais reste à distance des figures simplistes et sexistes dessinées par Roberto Arlt ; ce décalage entre l’incarnation vibrante des personnages masculins et la présence plutôt illustrative d’Elsa Canovas déséquilibre quelque peu la réception.
Rythmée, drôle et intelligente, cette adaptation du roman au théâtre est très appropriée. Le texte de l’auteur argentin des années 1930 résonne aujourd’hui à l’échelle mondiale : fanatisme religieux, surpuissance des industries, immense solitude des hommes contemporains… et une question éternelle : comment rassembler ?
Les 7 fous
d’après le roman Los siete locos de Roberto Arlt
Traduction : Isabelle et Antoine Berman
Adaptation : La Compagnie en Cavale
Mise en scène : Théo Pittaluga
Avec Adrien Noblet, Elsa Canovas, Victor Garreau, Raphaël Mostais et Clément Séjourné
Compositeur : Philippe Wojtyra
Costumes : Manon Lancerotto
Scénographie : Théo Pittaluga
Conception scénographie : Chloé Ambrogi
Lumière : Victor Arancio
Du 10 au 21 janvier 2017
Théâtre de Belleville
Passage Piver
94 rue du Faubourg du Temple
75011 Paris
http://theatredebelleville.com