Un article d’Ondine Bérenger
Débordement de résidence
La compagnie des 26000 couverts vous convie, en compagnie de quelques décideurs dont la présence était inespérée, à une sortie de résidence où les artistes présentent, en salle, l’ébauche d’un futur spectacle de rue sur le thème de la mort. Mais rien ne se passe comme prévu car le processus de création est une mutation constante, et toutes les potentialités surgissent sur cet immense plateau de répétition encombré d’échaufaudages, de tables et d’accessoires en tout genre.
© Raynaud de Lage
A travers une multiple mise en abyme, les 26000 couverts brouillent les pistes pour laisser le spectateur sans repère : où se situent le réel, la représentation, la répétition, l’improvisation ? Impossible de le savoir. Et d’ailleurs, qui est le metteur en scène ? De quelle mort parle-t-on, lorsqu’elle surgit après avoir été raillée ? Celle des personnages, des acteurs, du théâtre lui-même ou du spectacle qui touche à sa fin ? Les situations absurdes et surprenantes s’enchaînent à un rythme tel qu’on se croirait au Pays des Merveilles, à cette exception près que le comique est partout. Pas un temps mort au milieu de cette joyeuse confusion générale qui nous fait immanquablement céder à de nombreux fous rires. Toutefois, loin de n’être qu’une comédie burlesque génialement imprévisible, le spectacle porte un regard à la fois amusé et acerbe sur la réalité du monde de la culture. Que ce soit en parodiant les genres du drame ou de l’opérette, en moquant les poncifs des « notes d’intention » ou le ridicule bien-pensant des « actions culturelles » pour jeune public sur le recyclage des déchets, la compagnie pousse à la réflexion au moins autant qu’elle fait rire, toujours avec une inventivité hors-norme qui démultiplie les modes de représentation. Et quand il n’y en a plus, il y en a encore ! Si c’était possible, on resterait bien quelques heures de plus dans cette « sortie de résidence » (ce « débordement de résidence », pourrait-on dire), dont le principe même est raillé.
Par ailleurs, les acteurs n’hésitent pas à sortir du cadre, et semblent prendre un grand plaisir à interagir avec les spectateurs – on reconnaît bien l’habitude du théâtre de rue, ses aléas et sa générosité. Ainsi, dans cette salle, qui se révèle être davantage un abri, un lieu de présence commun plutôt qu’un endroit normé et normatif, les 26000 couverts nous font retrouver le plaisir d’être ensemble et d’en avoir conscience. Que souhaiter de plus beau comme accomplissement pour l’art dramatique ?
© Raynaud de Lage
A bien y réfléchir, et puisque vous soulevez la question, il faudra quand même trouver un titre un peu plus percutant
des 26 000 couverts
mise en scène Philippe Nicolle assisté de Sarah Douhaire
écriture collective sous la direction de Philippe Nicolle
avec Kamel Abdessadok, Christophe Arnulf, Aymeric Descharrières, Servane Deschamps, Pierre Dumur, Olivier Dureuil, Anne-Gaëlle Jourdain, Erwan Laurent, Michel Mugnier, Florence Nicolle, Philippe Nicolle, Laurence Rossignol
avec la collaboration de Gabor Rassov
création musicale Aymeric Descharrières, Erwan Laurent
technique Hervé Dilé, Michel Mugnier, Laurence Rossignol
construction Michel Mugnier
création costume Laurence Rossignol avec Camille Perreau et Sigolène Petey
création lumières Hervé Dilé
postiches Céline Mougel
du 21 février au 17 mars
Le Monfort
106 rue Brancion
75015 Paris