« A Floresta que anda (La Forêt qui marche) », de Christiane Jatahy, inspiré de Macbeth de Shakespeare, Odéon / Centquatre, Paris

Article de Pierre-Alexandre Culo

Une galerie pour que le monde se déracine.

Après Julia et What if they went to Moscow d’après Strindberg et Tchekhov, A Floresta que anda est le dernier volet d’un triptyque s’attaquant librement aux écritures classiques. Invités aux frivolités d’un banquet shakespearien, Christiane Jahaty extrait de la figure tyrannique de Macbeth une expérience prenante au plus proche de l’actualité. Surveillance, pouvoir, corruption. La nouvelle artiste associée de l’Odéon invente une nouvelle appréhension du spectacle, développe un dispositif immersif – plongeon dans les eaux ensanglantées de sa « piscine » – où les actes barbares de notre actualité se rassemblent au milieu d’une forêt tristement immobile.

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© Marcelo Lipiani

« L’espace est à vous » ou du moins cette salle aux relents de vernissage de galerie d’art contemporain avec tout le nécessaire : un grand bar et un peu d’art pour cautionner ce rassemblement. Cette soirée projette quatre portraits documentaires d’hommes et femmes dont les abus des pouvoirs politiques et économiques ont bouleversé leur vie. De la Syrie, au Congo ou au Brésil, les horreurs de notre monde se tiennent rassemblées dans une salle où le bar et les verres à portée de main suscitent plus d’intérêt. Pendant ce temps de déambulation, la salle reproduit d’elle-même cette société mondiale se rendant aveugle du monde qui les entoure, une forêt qui prend confortablement racine dans un terreau pourri.

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© Marcelo Lipiani

Guidés par la voix de Christiane Jahaty, certains spectateurs munis d’oreillettes se déracinent et participent activement au démembrement de l’espace, à la destruction de ce confort mondain. Cachée derrière une vitre teintée, elle articule ce spectacle performance qui prendra chaque soir une allure différente. Lady Macbeth lave le sang de ses mains dans un aquarium, dépèce les entrailles d’un poisson sur le zinc du bar, l’électricité vacille. Qui est spectateur, qui ne l’est plus ? La méfiance est palpable dans un espace où l’on se sent observé et manipulé. Les écrans tournent, se séparent et se rapprochent, tel un mur menaçant, vers cet amas de spectateur confiné dans un coin de la salle. Julia Bernat clôt cette expérience avec une sincérité déconcertante, tissant les liens entre l’écriture de Macbeth et la situation mondiale. Une dernière question résonne: « qu’est-ce que l’on peut faire? ». Par quels moyens nous pourrions, nous, forêt immobile, enfin nous mettre en marche ?

« Il serait temps de sortir non ? ». Pas d’applaudissement.

Dans un dispositif innovant qui déplace les relations entre le spectateur, le théâtre et la vidéo, Christiane Jahaty met en place une expérience collective et participative dont le spectateur crée inconsciemment la violence. La matière shakespearienne ainsi éclatée questionne de façon profonde notre responsabilité citoyenne mondiale, en attendant que quelque chose se mette enfin en marche.

 

 

A Floresta que anda

texte  Christiane Jatahy

inspiré de Macbeth de William Shakespeare

créé et dirigé en direct par Christiane Jatahy

avec Julia Bernat

direction de la photographie, lumière et vidéo live  Paulo Camacho

conception du scénario Christiane Jatahy et Marcelo Lipiani

direction artistique Marcelo Lipiani

création son et effets Estevão Case

collaboration artistique Stella Rabello et Isabel Teixeira

costumes Fause Haten

 

Du 4 au 22 octobre 2016

 

Le Cent quatre

5 rue Curial

75019 Paris

http://www.104.fr