« À LA CARABINE » de Pauline Peyrade, Jeunes filles, jeunes proies, ne vous laissez pas faire !

À la carabine suivi de Cheveux d’été de Pauline Peyrade aux éditions des Solitaires Intempestifs
Une commande de La Colline, du TNS et de la Comédie de Reims pour le programme « Éducation et proximité » créé en 2019 dans les lycées de la région parisienne du Grand Est.

Comment évoquer la violence sexiste et son corollaire, le désir de vengeance, dans un langage direct et immédiatement accessible aux jeunes gens et jeunes filles des lycées, sans tomber dans la moraline et prêchi-prêcha tout en évitant le glauque ?
C’est la tâche ardue à laquelle s’est attelée Pauline Peyrade dans cette courte pièce percutante. Le lieu : une fête foraine et son stand de tir qui offre en récompense un dauphin de peluche géant. Une jeune fille tient la carabine à plomb, bien décidée à gagner, et à le faire seule.
Survient un garçon de son âge, ami de son frère qui prétend l’aider, voire se substituer à elle, remporter le fameux dauphin et aussi les remerciements qui devraient en découler selon les critères bien établis de l’ordre patriarcal.
Elle tente de le repousser, il insiste. C’est la norme. Les filles, quand elles disent non, ça veut souvent dire oui, pas vrai ? et puis, autre norme, sa mère lui a demandé de veiller sur son enfant. Une jeune fille à la fête foraine, tu comprends…

Les répliques fusent, brèves, énergiques, souvent violentes, dans un langage qui ne s’encombre ni de formules de politesse, ni de périphrases.
-T’as pas d’autres gens à voir que tu connais, là ? T’as pas des amis ?
-rit
-Sérieux, c’est sur toi que je vais tirer.
-Pardon.
-Rentre chez toi.
-Je peux pas te laisser seule, j’ai promis à t amère.
-Je lui dirai rien, ça va.
On le voit, aucune fioriture. Ça parle d’aujourd’hui, dans le langage d’aujourd’hui.

La position de la jeune fille tenant une carabine et tournée vers les ballons qui dansent dans leur lucarne est évidemment tentante pour le prédateur. Il peut prétexter une aide et se frotter contre elle dont les mains sont occupées et qui voudrait se concentrer. Difficile de se débarrasser de cet intrus collant comme un papier de bonbon et qui sait aussi se montrer menaçant. T’es comme ton frère, une sale hyène de langue de vipère.
Et elle, monologue intérieur : on dirait que j’ai peur parce que je m’énerve, pourquoi tu t’énerves ? tu le connais, qu’est-ce que tu veux qu’il se passe, t’as regardé trop de films. Arrête de te faire des films et concentre-toi, tu vas rater le ballon.
Ainsi alternent les dialogues, les monologues intérieurs et d’autres paroles, renversantes, parce que tout à coup, la situation semble s’être inversée… il est question de ce que l’on a dans la bouche, chose menaçante, toujours, qu’elle soit chaude et vivante ou qu’elle soit froide le canon d’un arme.

Être victime détruit, empêche toute évolution, bloque toute possibilité de rapport aimant. La carabine retournée contre l’agresseur est-elle réelle ou fantasmée ? et même si la vengeance était possible, serait-elle pour autant salvatrice ?
Bonnes questions à soumettre à des ados en proie à leurs désirs confus.

CHEVEUX D’ÉTÉ, le bref texte qui suit, est un monologue, écrit dans une langue plus poétique : ta gorge fait des bruits d’océan, mais il s’agit aussi de prendre le dessus : j’ai envie de serrer si fort ton cou qu’il se froissera comme un papier crépon et de faire une boule entre mes mains et de serrer très fort jusqu’à ce que ça devienne dur comme un rocher et que je pourrai le jeter au loin… mes mains autour de ton cou. Une armure. Je ne te lâcherai pas.
Il semble important, en effet, de ne pas lâcher. Femme abusée, certes, mais lâche, jamais, jamais plus !

PPeyrade (c) raoul gilibert

Pauline Peyrade auteure, metteuse en scène et, depuis 2019, coresponsable du département Écrivain·e·s-Dramaturges de l’ENSATT
© Raoul Gilibert

Informations pratiques

Auteur(s)
Pauline Peyrade

Prix
13 euros

Éditions Les Solitaires Intempestifs
www.solitairesintempestifs.com