Article d’Ondine Bérenger
La divine comédie ?
Tandis qu’Amphitryon est au combat, le dieu Jupiter descend sur Terre en prenant son apparence pour séduire sa femme, Alcmène. Il est accompagné de Mercure sous les traits de Sosie, le valet du général… La nuit se prolonge indéfiniment. Mais lorsque Amphitryon revient victorieux, qui peut encore croire à son identité ? Qui aime Alcmène, qui aime-t-elle, et qui est donc l’usurpateur ?
© Willy Vainqueur
La pièce s’ouvre dans une obscurité inquiétante comme une nuit sans lune cerclée de brouillard. Là, on découvre les deux Sosie aux allures de personnages de Beckett ; l’original (interprété par Olivier Horeau) a quelque chose de résolument moliéresque. Moins modernes, les deux Amphitryon, eux, porteront leur tenue de guerre antique. Lorsque le jour se lève, on découvre l’entrée du Palais : un long rideau rouge (comme celui des théâtres), une structure noire. Au sol, des fragments dorés reflètent les lumières et, des deux côtés de la scène, l’on trouve pour seuls accessoires des chaises de jardin blanches… Étrangement, cette scénographie simpliste fonctionne plutôt bien, malgré l’immense écran blanc qui, surplombant le palais, semble l’écraser (image du puissant Olympe ?).
© Willy Vainqueur
Jusqu’à présent, tout semble aller pour le mieux. Mais hélas, la direction d’acteurs laisse finalement fortement à désirer. Si l’air froidement détaché des dieux peut permettre de marquer leur mystère et la sérénité de leur consciente omnipotence sur les hommes, il sonne monocorde et superflu chez les autres personnages, à tel point que la sublime langue de Kleist peine à nous parvenir tant elle se targue d’une lenteur excessive. En voulant montrer le dialogue de sourds qui se joue entre les personnages durant toute la pièce, Sébastien Derrey produit un effet autre : le texte est devenu sa propre parodie. Exit la profondeur du romantisme allemand, ses questionnements et ses inquiétudes, nous rirons finalement, près de trois heures durant, du ridicule de ces personnages déphasés et pompeux. La satire aurait pu être bonne si elle avait été affirmée… Mais en l’occurrence, on est à côté de la plaque. C’est dommage, d’autant que les comédiens semblent avoir des ressources (Catherine Jabot parvient à être captivante en Charis, Charles Zévaco incarne un Mercure au charme étrange…), mais le type de jeu qui leur a été imposé les contraint à rester dans une zone de confort bien ennuyeuse et, finalement, bien éloignée de l’intensité d’une œuvre de Kleist, quand bien même il s’agisse ici d’une tragi-comédie tirée de chez Molière.
Si l’on voulait voir une mise en scène qui fasse honneur au texte, on attendra.
Amphitryon
de Heinrich von Kleist
traduction Ruth Orthmann et Eloi Recoing (éditions Actes Sud)
mise en scène Sebastien Derrey
avec Frédéric Gustaedt, Olivier Horeau, Catherine Jabot, Fabien Orcier, Nathalie Pivain, Charles Zévaco, Sébastien Derrey
et la participation en alternance de Anne-Marie Fernier, Anne Giraud, Marie Brunel, Patrick Baudin, Jacques Lepine, Marie Fabry.
Lumières Ronan Cabon
Scénographie Olivier Brichet
Son Isabelle Surel
Costumes Elise Garraud
Maquillage Cécile Kretschmar
Régie générale Pierre Setbon
Régie plateau Pierre Leblond
Régie lumières Eric Louchet
Electricienne Delphine Perrin
Décors Ateliers MC93
du 30 septembre au 13 octobre
Théâtre de la Commune
2 rue Edouard Poisson
93300 Aubervilliers
http://lacommune-aubervilliers.fr/