« ANGUILLE SOUS ROCHE » Les pieds dans l’eau, la tête en l’air, six pieds sous terre

D’abord il y a la mer qui rugit. Violence sonore. Puis un souffle. Celui d’Anguille. Elle se noie. Sa voix s’élève. Elle se noie, elle va mourir, mais tout ce qu’elle veut, la pauvre, c’est se souvenir une dernière fois. Se rappeler sa vie. Alors elle se souvient. La mer se calme, retour à aux dix-sept ans d’Anguille.

« Anguille sous roche », avant d’être adapté au théâtre Gérard Philipe, est un roman D’Ali Zamir, écrivain né aux Comores et vivant actuellement à Montpellier. C’est son premier roman : un récit constitué d’une unique phrase fleuve, la parole d’Anguille, sa dernière. Un petit miracle littéraire. Récit éminemment oral, donc, rien d’étonnant alors qu’il ait été adapté sur scène par Guillaume Barbot.

Et c’est une réussite. « Anguille sous roche » est une merveille. On pourrait se méfier d’un monologue d’une heure trente, sur un sujet aussi réjouissant que la mort d’une jeune fille. On pourrait. Mais on vous assure, ce n’est pas quelque chose que vous voulez rater. Et le gage de ce succès tient en un seul point : Déborah Lukumuena.

© Pascal Victor/ArtComPress

 

Découverte avec le film « Divines » (César 2017 de la meilleure actrice dans un second rôle), puis retenue pour intégrer le Conservatoire national supérieur d’art dramatique, Déborah Lukumuena porte le texte avec une puissance incroyable. Sa force, sa joie, ses peurs, tout concourt à nous plonger tête baissée dans son histoire. Elle rayonne littéralement et on est accroché à ses mots du début à la fin.

La mise en scène, simple, fonctionne parfaitement. Deux murs partent de cour et jardin pour se retrouver en fond de scène. Quelques ouvertures symbolisent une fenêtre ; une porte se trouve en face. Un plafond, constitué d’un drap blanc, nous montre le niveau de la mer, et les jeux de lumière, notamment les coups de tonnerre nous emmènent rapidement au fond de l’océan Indien. Mais la meilleure idée est encore la plus simple. Le sol de la scène est recouvert d’eau. Déborah Lukumuena joue ainsi toute sa partition les pieds immergés, donnant naissance à des images sublimes, lorsque la lumière s’y reflète. L’élément aquatique ne nous quitte jamais du spectacle. Normal alors d’y croiser une Anguilles.

La musique achève de nous illuminer. Deux musiciens accompagnent Anguille dans ses derniers mots. En live (même s’ils n’apparaitront pas sur scène), ils jouent avec l’actrice, ponctuant ses peurs, ses désirs, son appréhension, son asphyxie. Et la partition n’est pas figée : parfois, en retard, parfois en avance, ils répondent toujours en fonction d’Anguille, plus ou moins en retard, lorsque sa pensée fuse trop vite pour être suivie, ou au contraire quand elle perd le fil et que le son se fait alors pressant.

« Anguille sous roche » est un cadeau. Pour ses idées, pour son humanité, pour sa beauté littéraire et scénique, et surtout, surtout, pour Déborah Lukumuena, vous devez le voir.

© Pascal Victor/ArtComPress

Informations pratiques

Auteur du roman
Ali Zamir

Adaptation et mise en scène
Guillaume Barbot

Avec
Déborah Lukumuena, et les musiciens Pierre-Marie Braye-Weppe et Yvan Talbot

Scénographie
Justine Bourgerol

Dates
du 10 au 27 janvier 2019

 

Durée
1h30

 

Adresse
Théâtre de Gérard Philipe — Centre dramatique national de Saint-Denis
59, boulevard Jules Guesde, 93200, Saint Denis

 

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