« ANTIGONE »  L’hommage aux esprits 

Une vaste étendue d’eau peu profonde, d’où émergent des roches. Là, éclairés par leurs bougies, quelques silhouettes blanches errent lentement. Dès l’entrée dans la Cour d’honneur du Palais des Papes, il semble que nous soyons arrivés à la frontière du monde vivant, au lieu de passage vers celui des esprits. C’est sur l’Achéron (ou le fleuve Sanzu au Japon) que Satoshi Miyagi situe son envoûtante Antigone.

Passées les cinq premières minutes où les comédiens, non sans humour, amorcent – en français – notre traversée, la représentation devient mesurée, contemplative, avec une esthétique d’une élégance rare, mais troublante par l’étrangeté irréelle dans laquelle elle nous entraîne. Fortement marquée par les traditions bouddhiste et shintoïste, elle est un concentré d’images hautement symboliques, mais dont les codes, méconnus en Europe, resteront sans doute très hermétiques pour certains spectateurs.

Vivants, les corps muets des personnages, sortes d’avatars, comme des pantins au visage inexpressif dont seuls les gestes trahissent les émotions, restent sur la roche. Leurs voix, qui se propagent parfois au choeur qui les entoure, ne quittent jamais le fleuve des morts. Outre la distanciation produite par cet effet hérité du théâtre Nô, on observe ici un véritable éclatement des personnages : ils ne sont plus des semblants d’hommes incarnés par des acteurs, mais des esprits, des idées. Le mythe est ainsi, plus que jamais, une abstraction intemporelle illustrant les travers humains, au service d’une réflexion idéologique. Pour fragmenter encore davantage la perception du spectateur, le théâtre d’ombres se mêle au spectacle : ingénieuse façon d’éviter la sensation d’écrasement du plateau par l’immense mur du Palais des Papes, les silhouettes projetées des personnages occupent l’espace en hauteur. Ce dispositif montre ce qu’on ne voit pas dans la lumière : les relations directes entre ces âmes qui se dominent, se disputent ou s’aiment. Ainsi, chaque élément éclaté de la représentation sert un objectif précis, et la superposition de ces effets permet de reconstituer une image profondément philosophique, très éloignée de toute analyse psychologique. Exit les passions et la tension dramatique, cette Antigone est une méditation, une célébration spirituelle, une invitation à l’apaisement. Le rassemblement de tous les personnages dans la danse funèbre bon-odori, à la fin de la pièce, rythmé par le passage d’un nautonier psychopompe, illustre l’aspiration bouddhiste que représentent l’amour et la lutte d’Antigone : la quête de paix et de respect affectueux envers tout le reste de l’humanité. La célébration est à l’image du festival Obon, fête des morts qui se tient en juillet et août au Japon – et dont certaines traditions sont ici représentées.

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Les acteurs venus de la ville de Shizuoka, au pied du mont Fuji, semblent peu impressionnés par la Cour d’Honneur, et c’est heureux. Les rôles muets, particulièrment les principaux (Micari, Kouichi Ohtaka et Yoneji Ouchi, respectivement Antigone, Créon et Hémon) officient avec une précision extrême. Côté voix, nous saluerons particulièrement le duo Ismène-Antigone (Yuumi Sakakibara et Maki Honda), qui porte l’aspect tragique du mythe avec une intensité émotionnelle saisissante, tandis que Créon (Kazunori Abe) a la force et la violence d’un roi tyrannique de conte traditionnel pour enfant. La musique, composée par Hiroko Tanakawa, accompagne à merveille la représentation et contribue à lui conférer son aspect prononcé de rituel.

C’est donc un spectacle exceptionnel, création interculturelle profonde et belle, qui ouvre cette soixante et onzième édition du festival d’Avignon.

Informations pratiques

Auteur(s)
De Sophocle, traduit par Shigetake Yaginuma

Mise en scène
Satoshi Miyagi

Avec
Asuka Fuse, Ayako Terauchi, Daisuke Wakana, Fuyuko Moriyama, Haruka Miyagishima, Kazunori Abe, Keita Mishima, Kenji Nagai, Kouichi Ohtaka, Maki Honda, Mariko Suzuki, Micari, Miyuki Yamamoto, Moemi Ishii, Momoyo Tateno, Morimasa Takeishi, Naomi Akamatsu, Ryo Yoshimi, Soichiro Yoshiue, Takahiko Watanabe, Tsuyoshi Kijima, Yoji Izumi, Yoneji Ouchi, Yu Sakurauchi, Yudai Makiyama, Yukio Kato, Yuumi Sakakibara, Yuya Daidomumon, Yuzu Sato

Dates
Du 6 au 12 juillet 2017

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Durée
1h45

Adresse
Cour d’Honneur du Palais des Papes
84000 Avignon

www.festival-avignon.com