Un article d’Ondine Bérenger.
Autopsie de la jeunesse
Au cours d’une de ses enquêtes, Boon, médecin légiste, se retrouve confronté à son passé : le corps retrouvé est celui de Murdoch, adolescent à la langue bien pendue disparu il y a quinze ans, et ami du frère aîné de Boon. Son cadavre enlace une jeune fille inconnue… Pour reconstituer ce qui s’est passé ce jour-là, le médecin légiste recompose ses souvenirs fragmentés, et se remémore ses propres désillusions.
© Jean-Yves Lacôte
Pour faire écho aux multiples temporalités présentes dans l’oeuvre de Wajdi Mouawad, la mise en scène de Brice Coupey concilie diverses techniques : les marionnettes font surgir le passé, le jeu des acteurs s’accapare le présent tandis que le théâtre de papier donne corps à l’imaginaire et que la vidéo, utilisée avec parcimonie, lie les époques et les situations. Ainsi, ce récit fragmenté parvient à conserver une clarté limpide dans sa chronologie, ainsi qu’un rythme et une originalité appréciables. Situant toute l’action dans un décor de salle d’autopsie, la compagnie l’Alinéa dépasse la structure même du texte pour faire de cette représentation la véritable dissection d’une adolescence en manque (et en quête) d’identité, de sens et de beauté. De plus, l’utilisation d’images d’archives de journaux télévisés est judicieuse : elle permet de replacer le récit dans la violence d’un contexte historique réel, l’empêchant ainsi de se changer en image abstraite et clichée d’une jeunesse en crise. Seul défaut éventuel : un tel niveau de précision dans la mise en scène a tendance à mettre en exergue l’aspect excessivement explicatif de la fin du texte… Du moins, on peut ressentir une légère frustration vis-à-vis de la conclusion « facile » d’une enquête au suspens si bien ménagé.
Côté technique, il faut reconnaître qu’on a rarement vu des marionnettes sembler à ce point vivantes sur un plateau. Murdoch fait preuve d’une personnalité explosive du haut de ses quelques dizaines de centimètres de chiffon ; quant au petit Boon, sa grande simplicité le rend étonnament adorable.
Enfin, en termes d’interprétation théâtrale, Brice Coupey monopolise l’espace. En réalité, il incarne le médecin légiste plus qu’il ne le joue : sa manière apparemment si naturelle de briser le quatrième mur lui confère une crédibilité impressionnante. On ne décroche pas une seconde tant il nous tient en haleine. Néanmoins, Fanny Catel n’est pas laissée-pour-compte : elle parvient à conserver une présence étrange et marquante par sa façon d’interagir silencieusement avec ses marionnettes…
En définitive, malgré un texte difficile à représenter, la compagnie l’Alinéa nous offre une mise en scène extrêmement réussie, à ne pas manquer.
© Jean-Yves Lacôte
Assoiffés
de Wajdi Mouawad
mise en scène : Brice Coupey
Collaboration artistique : Caroline Nardi-Gilletta
Interprètes, marionnettistes : Brice Coupey et Fanny Catel
Interprète manipulateur vidéo : Ladislas Rouge
Cinéaste : Dominique Aru
Scénographie : Michel Gueldry
Construction marionnettes : Ombline de Benque
Construction marionnettes autopsiées : Anne Bothuon
Son : João de Almeida
Lumière : Laurent Patissier
du 17 au 28 janvier
au Mouffetard – Théâtre des arts de la marionnette
73 rue Mouffetard
75005 Paris
http://www.theatredelamarionnette.com