"AU BORD" de Claudine Galea aux Éditions Espace 34, Jouir de l’ignominie ?

Un texte court, mais dense. Un monologue dans lequel l’autrice affronte l’image troublante et ignoble publiée par le Washington Post en mai 2004 montrant une jeune femme en tenue militaire tenant en laisse un homme nu dans la prison d’Abou Ghraib. La photo a fait le tour du monde, soulevant, on s’en souvient, l’indignation universelle et beaucoup de questions quant à la conduite de la guerre américaine en Irak.

Claudine Galea est fascinée par cette image. Elle raconte comment elle a écrit quarante versions de son texte, de son approche impossible et toujours répétée. Au bord, elle reste au bord, incapable d’entrer dans ce lieu, dans cet événement trop singulier. Elle se sent la laisse, ce lien cruel qui attache le bourreau à sa victime.
Puis, elle décrit l’irrésistible attirance qu’elle éprouve pour cette toute jeune fille, et aussi l’absence totale d’empathie pour l’homme nu, humilié à un point inouï.
Que cherche-t-elle dans cette image affligeante ? une jouissance malsaine et coupable ? l’occasion d’exposer une sexualité lesbienne ? la revanche prise sur la gent masculine ?
Tout cela à la fois, bien sûr et aussi ce qui affleure et ose à peine se dire : les traumatismes de l’adolescence. Ma mère n’aimait pas que je fume, elle disait : tu pues. Elle disait : tu n’es pas une putain. Elle voulait dire : tu es une putain. Elle disait aussi : les hommes sont des salauds. Salaud, disait-elle à mon père, va voir ta putain… une façon bien particulière de dire son amour. Les mères aiment et cet amour pue. Cet amour tue ?

La fin du texte est une longue litanie, enivrante et vaine. La jeune femme n’est plus que la laisse au bout de laquelle se tord l’homme nu et l’écrivaine n’est plus elle-même que cette même laisse qui l’attache à sa mère impitoyable, à son père méprisant, à celle qu’elle a aimée et qui l’a oubliée, à son passé de souffrance. Ma laisse m’attend dans la prison de maman.

Je pense que j’écris pour ne pas tomber. Redoutable aveu qui donne le vertige. Il est probable que de nombreux écrivains, de nombreuses écrivaines pourraient dire la même chose, mais rarement ils / elles le font de cette manière directe et sans fard ! Le récent film de Ursula Meier, « La Ligne », n’est pas loin de traiter le même problème. La laisse n’y est pas figurée, mais là aussi, elle est bien présente.

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