[Avignon IN] « ANTIGONE IN THE AMAZON », Quand le théâtre documentaire réussit à être vraiment du théâtre

Antigone in the Amazon, mise en scène Milo Rau © Christophe Raynaud de Lage

L’autre scène, c’est à Vedène, au milieu de nulle part, mais il y a un service de navettes bien organisé… s’y rendre est toujours un moment étrange et joyeux à la fois. Il faut calculer son temps !

Cette fois, il s’agissait de voir Antigone in the Amazon de Milo Rau, metteur en scène suisse qui s’est spécialisé dans le théâtre documentaire engagé. Souvent récompensé – à juste titre – il ne se contente pas de narrer les malheurs du monde et/ou de transmettre ses inquiétudes. En véritable homme de théâtre, il élabore son propos avec une grande justesse aussi bien sensible que visuelle, utilisant tous les moyens dont on dispose aujourd’hui, non comme des gadgets, mais comme aides à la cohérence du propos.

Après Oreste à Mossoul(conçu en Irak) et Le Nouvel Évangile (sud de l’Italie) voici le troisième volet de sa trilogie des mythes anciens. La figure d’Antigone incarne la tragédie vécue par les travailleurs ruraux de l’état de Pará au Brésil : la forêt brûle et recule au profit de la monoculture du soja. Plus de cultures vivrières, la faim tenaille les ventres ; aucun document ne prouve que ces indiens « arriérés » sont propriétaires des espaces qu’ils occupent depuis des siècle : pas de titre, pas de terre, dégagez ! C’est ainsi qu’est né le mouvement des sans terre, durement réprimé par la police et l’armée ; pratiques injustes aggravées encore sous Bolsonaro. Antigone refuse l’injustice, comme il se doit. Elle incarne la résistance face aux lois iniques et le droit supérieur de contester ce qui est légal au nom des lois supérieures, non écrites mais vitales qui devraient s’imposer à tous les humains, dirigeants compris.

En 1996, une manifestation de paysans terre a été réprimée dans le sang : dix-neuf morts sur la route qui conduit aujourd’hui au village où vivent les « sans terre ». C’est autour de ce point névralgique, que se joue la tragédie. Une tragédie commence toujours quand l’événement a déjà eu lieu. À ce titre, une tragédie est toujours une remémoration. Ce n’est pas un thriller, c’est un rituel et pour mener à bien ce rituel, il faut accompagner le récit de corps en mouvement, de musique, de liens fraternels. Le rituel commémore, mais il actualise aussi. L’état de Pará, au Brésil n’est pas un cas isolé ; chacun sait que ce sont les intérêts privés qui ont dévasté notre monde et le rendent invivable. Antigone le clame et pour cela, elle mourra. La forme proprement dite de ce spectacle fait alterner les séquences jouées en direct avec des films tournés sur place, réunions et manifestations, défilés et chants puissant et émouvants.

On est bouleversé et révolté ; on se sent concerné voire responsable quelque part de n’avoir pas su éviter la gigantesque catastrophe qui s’approche ; on se voudrait combattif et vainqueur … et pourquoi pas, après tout ?

Merci, en tout cas, à des artistes comme Milo Rau de nous donner à voir le monde tel qu’il va mal, en ne négligeant jamais l’art tel qu’il nous magnifie.

Citons ici les attendus du prix Europe Réalités Théâtrales (2018) :
À une époque où la complexité du monde et les événements qui marquent toute la planète semblent neutralisés par une information ultra-rapide et superficielle et souvent asservie à des intérêts économiques et politiques, l’histoire peut devenir volatile et se confondre avec les faits divers. Dans un tel contexte, le théâtre de Milo Rau se présente comme un théâtre ‘nécessaire’, c’est-à-dire en mesure de mettre l’accent sur les événements (politiques, sociaux ou faits divers) et de les amplifier, de nous faire réfléchir et comprendre dans quelles réalités nous vivons effectivement et vers où se dirigent la politique, les violences ancestrales de l’homme, nos sociétés et nos vies. L’œuvre de Rau, enrichie par ses remarquables connaissances littéraires, sociologiques, journalistiques, cinématographiques et visuelles, est telle qu’elle nous fait espérer qu’une vision critique, humaniste, cosmopolite et illuministe du monde est encore envisageable aujourd’hui.

On ne saurait mieux dire !

ANTIGONE IN THE AMAZON
ANTIGONE IN THE AMAZON
ANTIGONE IN THE AMAZON
ANTIGONE IN THE AMAZON

Antigone in the Amazon, mise en scène Milo Rau © Christophe Raynaud de Lage

Informations pratiques

ANTIGONE IN THE AMAZON – Création 2023
Festival IN d’Avignon du 5 au 25 juillet 2023

Conception et mise en scène
Milo Rau

Avec
Frederico Araujo, Pablo Casella, Sara De Bosschere, Arne De Tremerie
et en vidéo Gracinha Donato, Ailton Krenak, Célia Maracajá, Kay Sara,
le chœur des militantes et militants du Movimento dos Trabalhadores Rurais Sem Terra (MST)
Dramaturgie Giacomo Bisordi
Co-dramaturgie Martha Kiss Perrone
Collaboration à la dramaturgie Kaatje De Geest, Douglas Estevam, Carmen Hornbostel
Scénographie Anton Lukas
Costumes Gabriela Cherubini, Jo De Visscher, Anton Lukas
Lumière Dennis Diels
Musique Pablo Casella, Elia Rediger
Vidéo Moritz von Dungern, Fernando Nogari, Joris Vertenten
Assistanat à la mise en scène Katelijne Laevens assistée de Carolina Bufolin,
Zacharoula Kasaraki, Lotte Mellaerts
Traduction pour le surtitrage Panthea (français), Carolina Bufolin (anglais)
Dispositif d’accessibilité Panthea
Direction technique Oliver Houttekiet
Régie plateau Marijn Vlaeminck
Technique Brecht Beuselinck, Dimitri Devos, Stavros Otis Tarlizos
Production Klaas Lievens, Gabi Conçalves (Brésil)

Durée
1h50

Dates
Du 16 au 24 juillet 2023 à 21h30 à L’Autre Scène du Grand Avignon, Vedène

Adresse
L’Autre Scène du Grand Avignon – Vedène
Avenue Pierre de Coubertin
84270 Vedène

Informations complémentaires
Festival d’Avignon
www.festival-avignon.com

Festival OFF d’Avignon
www.festivaloffavignon.com