« [Avignon IN] La Fille de Mars »  L’ombre d’une Penthésilée 

Reine des Amazones, Penthésilée considère la loi de ses Mères comme sacrée : seul un homme vaincu au combat peut devenir le géniteur de sa descendance. Tombée amoureuse d’Achille sur le champ de bataille, elle le combat avec une férocité telle qu’elle finira par le déchirer à l’heure où il voulait se rendre.

Drame archi-romantique par excellence, souvent considéré comme le chef d’oeuvre du poète allemand Heinrich von Kleist, Penthésilée est avant tout l’histoire d’une passion furieuse qui se heurte à un ordre social immuable. Dans son adaptation, Jean-François Matignon élude certains passages pour ne garder que le coeur même de cette thématique. Cependant, si les coupes sont très fluides, la pertinence du renversement de l’ordre chronologique des scènes est beaucoup moins évidente. Ici, Penthésilée revient après sa mort pour conter son histoire, et la voir se re-jouer sous ses yeux… Résultat : la pièce s’ouvre sur un monologue narratif interminable reprenant les grandes lignes du récit. Obscurité presque totale, personnage statique au ton monocorde, on a peur pour la suite de la représentation…

Fort heureusement, passée cette longue introduction, nous entrons enfin dans le vif du sujet : le récit peut se jouer. Pour que la restructuration de la pièce fonctionne, le personnage de Penthésilée est dédoublé – fait intéressant dans l’idée, mais souffrant d’un grand manque de cohérence. En effet, il n’existe pas vraiment de rupture entre les deux Penthésilée, à tel point que leurs textes pourraient presque être inter-changés. De fait, la proposition n’a pas grand sens, à croire que la mort du personnage principal n’est qu’un gadget…

Cependant, Julie Palmier insuffle (enfin) de l’énergie à la représentation lorsqu’elle entre dans le rôle de cette amazone forte, sur le fil de la bestialité jusqu’à la folie, animée d’un désir dévorant volontairement excessif, incontrôlable, fatal. Avec elle, Achille (Thomas Rousselot) n’est pas aussi vif et charismatique qu’on l’aurait voulu, mais néanmoins convenable, au même titre que les autres Amazones, et pendant un instant, on est ravi par ce tour plus vivant que prend le spectacle. Mais hélas, le plaisir est de courte durée car la prochaine déconvenue n’est pas loin : c’est toujours aussi déclamatoire. Décidément, il semble que ce soit le défaut récurrent de la direction d’acteurs dans cette édition du Festival… Faute de trouver de nouvelles ruptures, la pièce devient à nouveau routinière et, malgré les efforts du duo Julie Palmier-Thomas Rousselot qui la portent à bout de bras, on s’ennuie définitivement. Le texte sublime de Kleist perd de sa profondeur et de son éclat lorsqu’il est alourdi par des intonations faussement tragiques, et l’on finit par oublier la délicatesse de cette plume à la fois poétique, intelligente et sentimentale. Dommage.

Mais par-dessus tout, ce qui rend le spectacle frustrant n’est autre que l’éclairage. Le décor est magnifique, décomposé en plusieurs espaces comme des ruines où revivent les souvenirs, entre la forêt foisonnante des Amazones, la terre sablonneuse du champ de bataille et le métal brut des scènes de confrontation amoureuse, des vestiges aussi physiques que symboliques, et on ne les voit pas. C’est sombre, tout le temps désespérément sombre, il faudra attendre la dernière demi-heure pour espérer apercevoir plus nettement en fond de scène le tapis de roses où les hommes captifs deviennent géniteurs… Les projecteurs à demi allumés – et souvent dirigés dans des endroits déserts tandis que les comédiens sont inexplicablement maintenus dans l’ombre – finissent par faire mal à la tête. Pourquoi ? Avec des lumières plus appropriées, ces deux heures quinze auraient été déjà tellement plus belles…

Une fois de plus, l’on reste donc mitigé face à un spectacle dont le potentiel gâché nous laisse un goût amer de frustration et d’incompréhension. Penthésilée est une pièce difficile à porter à la scène, mais quitte à s’y essayer, autant le faire avec précision pour éviter des écueils évidents… Non ?

Informations pratiques

Auteur(s)
D’après Penthésilée, de Henrich von Kleist
traduction Julien Gracq

Mise en scène
Jean-François Matignon

Avec
Johanna Bonnet, Sophie Mangin, Julie Palmier, Pauline Parigot, Thomas Rousselot et Sophie Vaude

Durée
2h15

Adresse
Gymnase Paul Giéra
55 avenue Eisenhower
84000 Avignon