« LE TRAITEMENT DE LA NUIT », par Évelyne de la Chenelière aux Éditions THÉÂTRALES

Une pièce étonnante, dans la lignée des questionnements formels actuels sur la forme et le langage, par une autrice et comédienne canadienne.

Disons-le tout de suite, cette pièce n’est pas un drame – au sens propre – puisque « Drama » signifie action et qu’ici, il s’agit de tout autre chose.

Quatre personnages : Léna, Bernard, Viviane et Jérémie, une fille, ses parents et un intrus, tour à tour jardinier, fils adoptif et amoureux de Léna. L’approximation de son statut dit déjà la particularité de ce théâtre déroutant et passionnant à la fois.

Dans Le Traitement de la Nuit de Évelyne de la Chenelière, douze scènes se succèdent posant les personnages, les décrivant dans leurs stéréotypes, leurs formules langagières souvent creuses, leurs attitudes sociales bien-pensantes. Il est clair qu’il s’agit plus ici d’interroger le langage que d’évoquer un événement – lequel a eu lieu, néanmoins.

Viviane et Bernard dînent avec quelques amis, sur une terrasse au soleil couchant. Cette situation revient en boucle : « Bon appétit, tout le monde », « vous avez vu ce beau coucher de soleil ? » banalité d’un quotidien conformiste et bien élevé. Et sur le même ton à la fois léger et posé, sont évoqués : la taille de la propriété, l’importance de la végétation, le rôle du jardinier, le caractère de leur fille Léna.

Cependant, tout fluctue. Le jardinier devient paysagiste, repris de justice, enfant maltraité ne pouvant affronter la lumière du jour… la maîtresse de maison se révèle dépressive au point de s’endormir « dans » son assiette dès que le soleil disparaît, le père aime conduire sa Mercedes la nuit et revivre ad libitum les moments d’intimité vécus avec son propre père. Quant à Léna, enfant fugueuse, mais qui revient toujours, elle porte sur la famille un regard froid, critique, sans pour autant faire scandale, car, ce qui semble le plus important pour ses parents, c’est « faire comme si de rien n’était ». À partir de là, toute révolte devient impossible.

Au fil de cet interminable dîner – à moins qu’il s’agisse de plusieurs soirs similaires – ce sont les mots qui tiennent le haut du pavé (si j’ose dire) et ces mots ne sont pas là pour raconter les actes ou les événements comme dans la tragédie classique, ils sont là pour eux-mêmes, ce qui donne un caractère flottant à la situation, car certaines phrases reviennent, insistent, se modifient sans jamais se stabiliser vraiment. Ainsi en va-t-il de l’enfance du père centrée sur les promenades nocturnes en voiture « pour voir les lumières » afin de constater que la vie continue pendant qu’on dort. Ainsi également du statut de Jérémie qui oscille entre victime et bourreau. Ainsi de Léna qui lâche les phrases terribles sur le ton de la pire banalité. Les mots, donc, centres de ce théâtre, mais incapables de dire le tragique et la mort, ravalés qu’ils sont au rang de lieux communs rapportant des faits divers. Le rêve lui-même n’échappe pas à l’impuissance : il est banal, sans intérêt et le cauchemar, c’est justement qu’il ne sert à rien, puisqu’il ressemble à la vie. « Je voudrais rêver depuis une autre tête » dit Viviane.

Le rêve lui-même n’échappe pas à l’impuissance : il est banal, sans intérêt et le cauchemar, c’est justement qu’il ne sert à rien, puisqu’il ressemble à la vie. « Je voudrais rêver depuis une autre tête » dit Viviane.

L’explication de tout cela est peut-être à trouver dans les deux premières scènes qui évoquent la naissance de Léna : le jour « radieux » de la mise au monde difficile, mais à deux, c’est important, d’une enfant qui ne ferme jamais les yeux.
« Je suis née et je ne m’en suis jamais remise ». Léna, née contre son gré, cherche « une posture qui inspire l’innocence » et avec la complicité de Jérémie, « le nivellement symbolique, pour retrouver l’innocence ». Tout un programme.

Informations pratiques

Auteur(s)
Évelyne de la Chenelière

Prix
9,50 euros

Éditions Théâtrales
www.editionstheatrales.fr