Article de Sébastien Scherr
Le cadre chômeur contre le reste du monde
Fage est au chômage. Ce quadra habitué aux rôles d’autorité vit très mal son déclassement. Un recruteur aux méthodes innovantes interroge ses capacités d’adaptation dans un monde en pleine mutation. Fage cherche ses marques avec son épouse et sa fille comme au travail. On est en 1971. Les femmes réclament l’égalité de traitement et le partage du pouvoir, dans la sphère publique comme dans la sphère privée ; la jeune génération du baby boom survient avec sa soif d’aventure et ses dents longues ; la place traditionnelle du père, chef de famille naturel, macho et paternaliste, est contestée par une révolution tranquille dont l’onde de choc se fait sentir jusqu’à nos jours.
© Brigitte Enguérand
Gilles David a su rendre au texte de M.Vinaver toute sa modernité par une mise en scène sobre et vive. Un plateau et un mur blancs pour tout décor, avec un petit frigo en fond scène. Les quatre personnages sont campés dans un costume qui les caractérise : la cadre en costard cravate, l’épouse en robe et escarpins, la fille en jean, baskets et T-shirt, le recruteur habillé chic et sport. Ces costumes ne bougeront pas, tels des habits de marionnettes, sauf pour Fage qui se verra peu à peu déshabiller à mesure qu’il perd son statut.
La pièce est à sketches et aussi bien certains pourraient changer d’ordre ou disparaître, comme des épisodes de série télé, le sens général n’en serait pas affecté. Ce qui compte c’est le discours de chacun, agencé tel un monologue haché, puisque les quatre personnages se parlent sans se répondre, à la manière de ceux de Tchekhov. C’est déroutant au début, et les comédiens semblent parler trop vite, sans relief, sans laisser au spectateur le temps de comprendre le sens ni la densité des répliques. Puis le spectacle prend une vitesse de croisière une fois que l’oreille s’est habituée à cette musicalité nouvelle, à cette fluidité voulue par le metteur en scène.
© Brigitte Enguérand
Les comédiens sont tous parfaits dans leur emploi, et font montre d’une sacrée capacité d’écoute et de concentration, ne pouvant s’appuyer sur la réplique du partenaire pour que leur revienne logiquement en mémoire la réplique suivante. Le sens ressort peu à peu de cette suite de notes comme dans un concert de jazz. La salle du Studio théâtre est parfaitement adaptée à cette ambiance. À la fin, le public ressort ravi d’avoir entendu un texte de M.Vinaver toujours actuel, à quelques évolutions près de la société française.
La demande d’emploi
Mise en scène Gilles David
De Michel VInaver
Avec Alain Lenglet, Clotilde deBayser, Louis Arene, Anna Cervinka
Elève-metteur en scène dramaturge Adrien Dupuis-Hepner
Lumières Philippe Lagrue
Costumes Bernadette Villard
Collaboration artistique David Tuaillon
Du 26 mai au 3 juillet 2016
Studio Théâtre
Galerie du Carrousel du Louvre
99, rue de Rivoli 75001 Paris