Après le très remarqué Medea au Théâtre de l’Odéon, Simon Stone investit la cour du lycée Saint-Joseph avec son nouveau spectacle, Ibsen Huis, librement inspiré de l’oeuvre d’Henrik Ibsen et fondé sur l’écriture au plateau avec les acteurs du Toneelgroep Amsterdam.
Sur scène, une maison de verre tournante. La résidence d’été où, au fil des générations, se sont accumulés les souvenirs, parfois joyeux, plus souvent chargés de douleurs cachées, de hontes inavouées et de multiples et lourds secrets. Entre 1964 et aujourd’hui, les personnages se croisent et s’affrontent ; petit à petit, les langues se délient pour révéler les mensonges, permettre à la vérité de refaire surface… et c’est ainsi qu’ils se déchirent.
Là où, dans Medea, Simon Stone semblait faire la dissection méticuleuse de la destruction d’une famille, ici, plus que jamais, ce délitement est une architecture. Avec le génie dramaturgique qu’on lui connaît, l’artiste australien pose pierre après pierre les éléments d’une tragédie moderne où les non-dits rongent de l’intérieur jusqu’à l’implosion de la cellule familiale, dans un perpétuel aller-retour chronologique. La maison, de son début de chantier à sa démolition, est un personnage à part entière, lieu de rencontre surréaliste, à la fois physique et symbolique, d’une généalogie perturbée. Chaque fragment de charpente bâti est un pilier arraché aux relations familiales ; la construction scelle l’effondrement.
Le public est purement voyeur, observant de l’extérieur ces pièces où les murs de verre ne permettent pas de dissimulation. Avec la précision extrême de la scénographie, les angles de vue offerts par le plateau tournant, il y a dans ces images frappantes quelque chose de très cinématographique. Paradoxalement, on ne ressent pas la distance tant on est happé par la tension dramatique et la présence incandescente des acteurs sur scène, et ni les micros, ni les murs ne sont un frein à l’adhésion. Au contraire : l’action s’en trouve condensée, il y transparaît une urgence terrible que renforce chaque inflexion de voix. Comme à son habitude, le Toneelgroep Amsterdam est fascinant par son incroyable maîtrise d’un jeu tout en nuances, d’une gravité effroyable sans jamais frôler la moindre caricature. Il y a de la vie sur le plateau. On peut particulièrement saluer Hans Kesting, qui excelle dans chaque facette de son personnage complexe et glaçant d’architecte criminel mais pas manichéen, ainsi que Janni Goslinga pour son rôle terrible de victime devenue toxicomane, en quête de vérité et de reconstruction ; mais tous, en réalité, sont sublimes.
Encore une fois, Simon Stone s’impose comme un maître du théâtre contemporain. Ses récits ne crient pas à la modernité : ils sont d’une actualité brûlante qui tire son intérêt et sa force d’une source intemporelle. Ce qu’ils nous racontent est un éternel retour, plus qu’une transposition : une mise au présent. Ibsen Huis, à cet égard, n’est pas aussi saisissant que Medea, mais n’en reste pas moins un spectacle poignant dont l’intelligence illumine l’esprit.
Informations pratiques
Auteur(s)
D’après Henrik Ibsen
Mise en scène
Simon Stone
Avec
Celia Nufaar, Hans Kesting, Bart Klever, Maria Kraakman, Janni Goslinga, Claire Bender, Maarten Heijmans, Aus Greidanus Jr., Eva Heijnen, Bart Slegers, David Roos
Durée
3h45
spectacle en néerlandais surtitré français
Adresse
Cour du lycée Saint-Joseph
62 rue des Lices
84000 Avignon