« HÉLÈNE APRÈS LA CHUTE », L’Essence du Théâtre

Hélène après la chute, mise en scène Simon Abkarian © Antoine Agoudgian

Les Théâtres sont des lieux propices aux correspondances.
Aux correspondances comme les entendait Baudelaire, quand « les parfums, les couleurs et les sons se répondent… » Quand, au-delà du temps, les grands mythes interrogent nos mondes successifs en les sublimant, jusqu’au tragique, par le verbe, la poésie et la musique. Le théâtre de l’Athénée, choisi par Simon Abkarian pour sa nouvelle création Hélène après la chute est, sans aucun doute, un de ces lieux. Par son exigence poétique et dramaturgique, par ses interrogations et son écoute du monde, la voix de Simon Abkarian entre en résonance avec des voix d’autrefois qui vibrèrent dans ce même lieu avec la même exigence. Quand l’Europe frileuse et semi-aveugle de l’entre-deux-guerres laissait monter les totalitarismes, Louis Jouvet y créait « La guerre de Troie n’aura pas lieu » de Jean Giraudoux. Avant que le rideau tombe, Hector devait se résoudre à dire : « Elle aura lieu » et Andromaque ajoutait : « Le poète troyen est mort… La parole est au poète grec ».

Mais Simon Abkarian, le poète qui reprend la parole aujourd’hui, n’est ni grec ni troyen mais il parle toutes les langues de la Méditerranée et avant tout celle, universelle, du Théâtre et de tous ses rites. Loin de toute psychologie bavarde, il va à l’essentiel, poursuivant inlassablement sa quête des grands mythes pour mieux parler du présent. Mais, au-delà de l’actualité, il travaille dans l’h(H)istoire, avec ou sans majuscule, et la parole que l’on entend sur scène est, elle aussi, essentielle. Une parole réhabilitée, épurée et sublimée comme une nécessité face au vide d’une pensée qui se délite sur les réseaux du quotidien.

Alors revenons à l’essentiel. À ce plateau presque nu où se jouera la tragédie. Et sur ce plateau nu, brille l’or comme un reflet des ors du théâtre de l’Athénée qui, lui-même, se reflète dans les grands miroirs qui symbolisent les murs de cette chambre de Palais, mêlant parfois les ombres des spectateurs à l’image démultipliée des deux personnages, Hélène et Ménélas. Au centre, un divan qui tournera au rythme de l’affrontement et du temps qui passe, et sur le côté un piano, car l’écriture de cette tragédie est également musicale. Elle peut maintenant commencer.

Nous sommes dans ce qui fut la chambre de Pâris où, désormais, après la chute de Troie, Ménélas règne en maître, mais il a le trac. Il attend et boit le vin des vaincus pour se réconforter. Il revêt ses habits et semble sorti tout droit d’une enluminure médiévale. Le cérémonial de ces retrouvailles tant attendues et tant redoutées semble prêt, mais, en fait, il n’est sûr de rien. Quand le mur du fond se déchire pour laisser apparaître la magnifique silhouette d’Hélène, telle une figure de théâtre d’ombres, juchée sur ses cothurnes de tragédienne, le verbe haut, nous comprenons avec Ménélas que le combat sera à armes égales ; si toutefois ce combat a encore un sens après tout ce sang versé. Alors la tragédie sera d’un autre ordre. Elle devra faire place à notre part d’humanité.

Ils ne se sont pas revus depuis dix ans. Depuis qu’elle s’est enfuie avec Pâris parce qu’elle n’en pouvait plus et qu’elle avait « envie de Vie, c’est tout ». « Cette putain de guerre de Troie » a duré dix ans, menée par des va-t-en guerre aussi fous que ceux d’aujourd’hui ; nous sommes au lendemain du carnage et « le sang versé ne revient pas dans les veines ». Alors à quoi bon… Elle porte fièrement une robe couleur soleil qui s’entrouvre pour laisser deviner le grain de sa peau et jaillir le fuseau de ses jambes, affirmant ainsi qu’Hélène est toujours debout, revendiquant sa liberté et celle des autres femmes.
Ménélas comprendra peu à peu la vanité des mots qu’il a ressassés depuis dix ans et l’inanité de la vengeance. Leur combat impuissant sera autre et pour cela, comme le dit Simon Abkarian, « il leur faudra se parler, il leur faudra faire théâtre ». Un théâtre tragique à hauteur d’homme et de femme, à armes égales, dans une écoute et une parole retrouvée qui pourra les mener vers une reconnaissance mutuelle, après avoir joué de passes d’armes où chacun ira au bout d’un récit où les mots blessent autant que les armes, seul moyen d’aller jusqu’au bout de cette nuit, dans l’espoir d’une possible aurore.

Mais tout cela ne serait rien s’il n’était porté par le verbe de Simon Abkarian, un verbe shakespearien d’une grande beauté. Une écriture âpre et fluide, concrète, à l’exigeante simplicité et d’une poésie rare. Une écriture qui nous donne le sentiment de toucher à l’essence même du théâtre. Une écriture doublée d’une écriture musicale où la composition est totalement indissociable du texte. Expérience rare au théâtre et totalement réussie, dans un spectacle où, comme dans les correspondances baudelairiennes, les mots, les sons, la lumière et la scénographie se répondent magnifiquement… À l’unisson des comédiens qui portent le verbe et la tragédie dans une implication totale du geste, du corps, de la voix et de tout leur être, dans une émotion et une écoute sans failles, entre eux et avec la musique. Du théâtre comme une épure, comme une évidence, comme on en rêve, comme on en voit trop rarement, mais qui, de ce fait, nous apporte un bonheur exceptionnel et nous élève.

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Hélène après la chute, mise en scène Simon Abkarian © Antoine Agoudgian

Informations pratiques

HÉLÈNE APRÈS LA CHUTE – Création au théâtre de l’Athénée Louis Jouvet

Auteur(s)
Simon Abkarian
Hélène après la chute de Simon Abkarian est publié aux éditions Actes Sud-Papiers

Mise en scène
Simon Abkarian

Avec
Aurore Frémont
Hélène
Bronis Jodorowsky Ménélas
Macha Gharibian Composition, Piano, Voix

Collaboration artistique Pierre Ziadé
Création lumière Jean-Michel Bauer
Création décor Noëlle Ginefri & Philippe Jasko
Création son Orian Arrachart
Création costumes Simon Abkarian
Conception costumes Nathalie Thomas
Construction décors Philippe Jasko
Régie plateau Maral Abkarian & Philippe Jasko
Production Pascale Boeglin

Dates
Du 7 au 25 novembre 2023 mardi au samedi à 20h, dimanche 19 novembre à 16h au Théâtre de l’Athénée, Paris
Le 30 novembre 2023 au Théâtre de Gascogne, Saint-Pierre-du-Mont (40)
Le 15 décembre 2023 au Théâtre de Suresnes (92)
Du 19 au 22 décembre 2023 à La Criée Théâtre National de Marseille

Durée
1h15

Adresse
Théâtre de l’Athénée
2-4 square de l’Opéra Louis-Jouvet
75009 Paris

Informations complémentaires

Théâtre de l’Athénée
www.athenee-theatre.com