[Avignon IN] « LE PETIT CHAPERON ROUGE », où se perdre est une vertu et subir n’est pas un crime

Le Petit Chaperon rouge, mise en scène Céleste Germe © Christophe Raynaud de Lage

Das Plateau est un collectif installé dans la scène française depuis des années, et à juste titre. La diversité des parcours de ses membres et son engagement dans les causes et écritures contemporaines en font une compagnie aux ambitions non seulement politiques et discursives, mais également esthétiques et transdisciplinaires, ce qui a le mérite d’alléger le propos. Si Poings, leur précédent spectacle, n’était pas sans défaut, on pouvait difficilement rester insensible à la force du dispositif élaboré par James Brandily, au parler hypnotique de Maëlys Ricordeau et à la présence glaçante d’Antoine Oppenheim.

Ce sont ces mêmes éléments qu’on retrouve dans l’adaptation très réussie du Petit Chaperon rouge de Jacob et Wilhem Grimm mise en scène par Céleste Germe ; une continuité d’autant plus surprenante que la compagnie s’adresse pour la première fois à un jeune public, à partir d’un texte classique non modifié. Bien sûr, ce n’est pas anodin, et Das Plateau d’insister que la version des frères Grimm est « puissante, positive et féministe », voyant dans la version de Perrault, où la fin de l’héroïne sert d’avertissement, un avatar de la culture du viol et de la culpabilisation des victimes. « Rien de tel dans la version des Frères Grimm (…) On y découvre une petite fille sans peur, qui se promène dans les bois », peut-on lire dans le livret, ainsi que cette proposition dramaturgique forte : « faire redécouvrir ce conte émancipateur, beaucoup plus subversif qu’on ne le pense, qui affirme le droit au mystère, au plaisir, à la liberté et à la peur ».

Sur scène, ce droit se traduit par une revalorisation esthétique de la traversée du Chaperon rouge. Grâce à un dispositif ingénieux fait de toiles en lin et de glace sans tain, Das Plateau fait rentrer le public dans cette étrangeté volontaire par le mystère de perception qu’est une illusion d’optique. Derrière cette première fenêtre, un paysage vidéoprojeté transparaît, et ce conflit entre les deux modes – paysage reflété d’un côté, image projeté de l’autre – est le tour de force de la pièce. Non seulement cela lui permet de jongler entre les images pour accompagner visuellement l’aventure du Chaperon dans une forêt psychédélique, abritant les puissances de la nuit, mais également de figurer spatialement une frontière entre les espaces de la narration et de l’incarnation.

S’inspirant du jeu conté, Maëlys Ricordeau et Antoine Oppenheim passent comiquement de l’un à l’autre et spatialisent leur jeu en conséquence, créant même des seuils intermédiaires entre ces deux pôles : raconter-devenir. Tout en respectant le texte, la narration prend la liberté d’un mode répétitif et parfois énumératif, presque rituel, qui donne l’impression vertigineuse de se perdre dans les phrases en même temps que dans les images. Loin de se reposer sur des artifices technologiques, la pièce se base dessus pour définir sa théâtralité. Les micros sont probablement son seul point noir, en ce qu’ils transforment l’adresse du conte en quelque chose de plus indirect, et empêchent de tirer parti de l’intimité des petites salles. Le Petit Chaperon rouge n’en est pas moins une réussite et convainc par ses partis pris et ses préoccupations dramaturgiques qui, si elles sont légèrement sécuritaires – le loup est là encore considéré dans son rôle archétypal, et le chaperon abandonne finalement l’expérience de la forêt pour y préférer l’obéissance – restent d’un optimisme gratifiant pour son public.

LE PETIT CHAPERON ROUGE
LE PETIT CHAPERON ROUGE
LE PETIT CHAPERON ROUGE
LE PETIT CHAPERON ROUGE

Le Petit Chaperon rouge, mise en scène Céleste Germe © Christophe Raynaud de Lage

Informations pratiques

LE PETIT CHAPERON ROUGE – Création 2022
Festival IN d’Avignon du 7 au 26 juillet 2022

Texte
Jacob et Wilhelm Grimm
Traduction de Natacha Rimasson-Fertin et des extraits de Futur, ancien, fugitif d’Olivier Cadiot

Mise en scène
Céleste Germe

Avec
Antoine Oppenheim, Maëlys Ricordeau

Collaboration artistique Maëlys Ricordeau
Conseil dramaturgique Marion Stoufflet
Musique Jacob Stambach
Scénographie James Brandily
Lumière Sébastien Lefèvre
Images Flavie Trichet-Lespagnol
Son et vidéo Jérôme Tuncer
Costumes Sabine Schlemmer
Assistanat à la mise en scène Mathilde Wind
Régie générale et plateau Pablo Simonet et Benjamin Bertrand
Régie son et vidéo Emile Denizeu

Durée
45 mn

Dates
13, 14, 15, 16, 18, 19 juillet 2022, Chapelle des Pénitents blancs, Avignon
Du 28 au 30 septembre 2022, Théâtre de Châtillon, Châtillon
Du 4 au 15 octobre 2022, Théâtre Nouvelle Génération (TNG), Lyon
Du 24 au 26 novembre 2022, La Villette, Paris
Du 30 novembre au 2 décembre 2022, Théâtre Les Halles, Sierre

Adresse
Chapelle des Pénitents blancs
Place de la Principale
84000 Avignon

Informations complémentaires
Festival d’Avignon
www.festival-avignon.com

Festival OFF d’Avignon
www.avignonleoff.com

Collectif Das Plateau
www.dasplateau.fr