[Avignon IN] « Les Damnés », d’après Luchino Visconti, Nicola Badalucco et Enrico Medioli, mise en scène Ivo van Hove au Palais des Papes

Article d’Ondine Bérenger

Un cinéma de la violence

La famille von Essenbeck est la riche propriétaire de grandes aciéries dans l’Allemagne de 1933. En février 1933, lors du dîner d’anniversaire du Baron Joachim, la nouvelle de l’incendie du Reichstag à Berlin déchaîne les tensions idéologiques et conflits d’intérêts entre pro et anti-nationaux socialistes, et déclenche une lutte de pouvoir violente et sanglante entre ces damnés.

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© Christophe Raynaud de Lage

Le spectacle s’ouvre sur la préparation des comédiens à jardin, filmée en direct et retransmise sur grand écran avec le nom des personnages, à la manière d’un générique de film. Sans qu’on le sache, cela préfigure déjà la suite : l’écran géant sera utilisé pendant toute la représentation, parfois à bon escient (filmer des scènes à l’intérieur du Palais des Papes), mais malheureusement souvent de manière superflue, attirant l’œil au point qu’on pourrait en oublier les acteurs qui jouent sous nos yeux. Certes, les cadrages sont très bien réalisés, mais l’on se croirait un peu trop au cinéma et pas assez face à un spectacle vivant.

Malgré cela, la troupe de la Comédie-Française parvient à prendre possession d’un immense plateau, presque vide et en proie au vent, avec suffisamment de présence pour attirer et conserver l’attention du spectateur à peu près intacte. En particulier, le trio Martin-Sophie-Friedrich (Christophe Montenez, Elsa Lepoivre et Guillaume Gallienne) se montre aussi terrifiant que captivant.

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© Christophe Raynaud de Lage

Malheureusement, bien que la pièce regorge de belles et intéressantes images, tel le rituel de la mort des personnages rejoignant leur cercueil sous une lumière blafarde, elle tombe trop souvent dans une certaine complaisance, voire un certain voyeurisme de la violence. Certes, la représentation accroche, choque, secoue le spectateur, et en ce sens il est indéniable qu’elle est efficace. Mais est-il nécessaire de clore la pièce par une fusillade orientée vers le public ? De montrer sur grand écran les personnages agonisant durant de longues minutes dans leur cercueil ? À cette violence crue et brutale, on préférera en tout cas celle symbolique, imagée, esthétique de Sophie von Essenbeck se trouvant humiliée au milieu de plumes blanches. Enfin, on pourrait également évoquer, durant le rituel des morts, les lumières et caméras braquées sur le public en signe de dénonciation. « Vous êtes ici, et vous n’avez rien fait »… Compte tenu du sujet abordé, l’accusation est un peu facile, trop attendue, sans prise de risque.

En dehors de cela, il faut reconnaître que la reprise d’un tel scénario est loin d’être sans intérêt, et qu’à défaut d’adhérer aux partis pris de mise en scène, on n’a guère le temps de s’ennuyer car le rythme est tenu, et la matière très travaillée.

Si l’objectif était de choquer le public par un déferlement de violence brute, tout en souhaitant montrer les engrenages d’une lutte de pouvoir, le pari est réussi. Dommage que cela soit si abruptement lancé au visage du spectateur. La violence au théâtre, oui, mais on pourrait l’employer autrement…

 

 

Les Damnés

d’après Luchino Visconti, Nicola Badalucco et Enrico Medioli

Mise en scène Ivo van Hove
Scénographie et lumière Jan Versweyseld
Costumes An d’Huys
Vidéo Tal Yarden
Musique et concept sonore Eric Sleichim
Dramaturgie Bart van den Eynde

Avec la Troupe de la Comédie-Française : Sylvia Bergé, Éric Génovèse, Denis Podalydès, Alexandre Pavloff, Guillaume Gallienne, Elsa Lepoivre, Loïc Corbery, Adeline d’Hermy, Clément Hervieu-Léger, Jennifer Decker, Didier Sandre, Christophe Montenez
Et Basile Alaïmalaïs, Sébastien Baulain, Thomas Gendronneau, Ghislain Grellier, Oscar Lesage, Stephen Tordo, Tom Wozniczka
Avec Bl!ndman [Sax] : Koen Maas, Roeland Vanhoorne, Piet Rebel, Raf Minten

 

Du 10 au 24 juillet 2016

 

Cour d’honneur du Palais des Papes

Place du Palais des Papes

84 000 Avignon

http://www.festival-avignon.com/fr/spectacles/2016/les-damnes