Article d’Ondine Bérenger
Catharsis moderne
Profondément touchée par les attentats de novembre 2015 et par l’histoire du cannibale japonais Issei Sagawa, Angélica Liddell, dans un voyage entre Tokyo et Paris, explore les instincts homicides des tréfonds de l’être humain, et propose une performance extrême où la beauté, la mort, la violence et l’érotisme s’entremêlent pour triompher de la loi de l’État.
© Christophe Raynaud de Lage
Sur un plateau bleu constellé d’étoiles, presque vide, Angélica Liddell, dans une robe de soirée rouge vif, ouvre la pièce par une longue citation d’Emil Cioran critiquant vivement la France : le ton est donné. A sa suite, on verra se succéder des scènes d’abord énigmatiques, d’une précision chorégraphique millimétrée, impliquant trois hommes et une femme japonais et huit jeunes filles blondes, images d’une beauté virginale cédant aux instincts primitifs, violents et pervers de l’humanité.
© Christophe Raynaud de Lage
Plongeant dans les profondeurs de la nature humaine, explorant et questionnant l’origine de la tragédie, de nos désirs, de nos pulsions sauvages et destructrices, Angélica Liddell provoque, choque et secoue, faisant exploser notre système de pensée moral pour nous pousser hors de notre zone de confort. La violence ici n’est pas brute, mais sublimée, et portée à un degré d’intensité tel que c’est comme si, tout d’un coup, elle se retrouvait vidée d’on ne sait quelle substance contingente, et qu’il n’en restait plus qu’une essence mythologique d’une exceptionnelle pureté. C’est certainement là l’une des formes les plus abouties de la catharsis antique. Chaque scène est maîtrisée à la perfection dans son déferlement de chaos, mettant à jour une recherche esthétique à la fois perturbante et électrisante, là encore, cathartique.
© Christophe Raynaud de Lage
Corps violentés longuement, photos de cadavres présentés sur l’air de Malagueña salerosa, danse frénétique sur la chanson jouée par les Eagles of Death Metal au moment de l’attentat, la performance est d’une radicalité affirmée, sans tabou ni limite, éclatant les frontières de la convenance et du malsain, pour ne laisser que le fait épuré, l’image, le symbole. La quête perpétuelle de ce qui peut être sauvé dans ce monde imparfait. « Pour que je lève mon visage vers le soleil, il est nécessaire que le monde entier soit détruit… »
On ne peut rester insensible au hurlement de détresse profondément humain de cette artiste en quête d’absolu. Peu importe que l’on soit insulté, malmené, provoqué, quand cela suscite un tel sursaut de conscience et éveille une si puissante pulsion de vie. C’est en tout cas ce qu’Angélica Liddell est parvenue à faire, dans un style très personnel qui a su nous faire adhérer sans réserve à sa proposition.
Qué haré yo con esta espada ?
Texte, mise en scène, scénographie et costumes Angélica Liddell
Lumière Carlos Marquerie
Son Antonio Navarro
Avec Victoria Aime, Louise Arcangioli, Paola Cabello Schoenmakers, Sarah Cabello Schoenmakers, Lola Cordón, Marie Delgado Trujillo, Greta García, Masanori Kikuzawa, Angélica Liddell, Gumersindo Puche, Estíbaliz Racionero Balsera, Ichiro Sugae, Kazan Tachimoto, Irie Taira, Lucía Yenes et la participation de figurants
Du 7 au 13 juillet 2016
Cloître des Carmes
Place des Carmes
84000 Avignon
http://www.festival-avignon.com/fr/spectacles/2016/que-hare-yo-con-esta-espada