[Avignon OFF] « BÉRÉNICE PAYSAGES » Séparation en loges

Mathieu Montanier dans Bérénice Paysages © Matthieu Edet

Dans sa loge, un acteur sorti de scène se prépare à retourner au monde. Il se démaquille, mange un morceau, et ce faisant, répète le texte qu’il vient de jouer, comme pour combler le vide et le retour au calme, pour créer, dans cette loge, une sorte de SAS de décompression. Soudain, un SMS arrive. Et ce texte dramatique, qui n’était dit que machinalement, pour rien, pour s’exercer, voilà qu’il le saisit aux tripes et que l’acteur y plonge, jouant à la fois tous les rôles pour dire absolument la douleur de la séparation.

Seul en scène, Mathieu Montanier est cet acteur un peu androgyne, gracieux et élancé. Qui joue-t-il dans la pièce ? On ne sait pas. Par la douce chorégraphie de son corps et sa concentration magnétique, il nous entraîne dans sa bulle, dans le silence pesant et vide de la loge, troublé seulement par la longue litanie du texte qu’il profère d’abord sans trop y penser. L’attente est interminable : volonté du metteur en scène de faire sentir ce poids du temps qui passe, ou hermétisme rendu trop fort, excessif, par la froideur mécanique du texte déclamé en italienne ? Difficile à dire. Pourtant, quelque chose se passe, là, qui mobilise encore notre attention. Malgré cette lenteur qui ne nous laisse pas entrer dans le spectacle, on reste happé de loin, comme aimanté à la scène, peut-être parce que l’on sent poindre une suite gigantesque. Et tout d’un coup, nous y sommes : le message tant attendu arrive, la spirale du désespoir commence, petit à petit, puis s’accélère jusqu’à se faire torrent, séisme. Avec une émotion brûlante jusqu’au fond du regard, glissant d’une posture à l’autre dans une danse d’angoisse et de frustration, Mathieu Montanier est Bérénice, Titus, Antiochus, figure d’un immense amour blessé contraint à l’abandon. Il est magnifique de justesse et de force dans son interprétation. La proximité offerte par la petite salle Chapelle du Théâtre des Halles nous permet de voir toute la subtilité de son jeu intimiste, où le texte colle au corps et où l’incarnation est totale. Dommage que la construction rythmique du récit nous contraigne à souffrir si longtemps la retenue et l’automatisme, tandis que l’extraordinaire orage, lui, passe si vite !

Bérénice Paysages est donc une performance d’acteur, avant toute autre chose – et cela suffit à faire aimer le spectacle. Mais le parti pris de sa mise en scène, hélas, reste empêtré dans le flou de cette première partie : comment rendre hommage à la force d’un texte si on le fait dire sans émoi ?

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Mathieu Montanier dans Bérénice Paysages © Matthieu Edet

Informations pratiques

BÉRÉNICE PAYSAGES – Création
Festival OFF d’Avignon du 5 au 28 juillet 2019

Auteur(s)
D’après Bérénice de Jean Racine

Adaptation et mise en scène
Frédéric Fisbach

Avec
Mathieu Montanier

Scénographie Charles Chauvet et Léa Maris
Création lumière et son Léa Maris
Assistante à la mise en scène Margot Segreto

Durée
50 mn

Dates
Du vendredi 5 au dimanche 28 juillet 2019 à 21h30
(relâches les mardis 9, 16 et 23 juillet) – Théâtre des Halles, Avignon
Du 5 au 30 décembre 2019 mercredi au samedi 19h15, dimanche 17h30 – Théâtre de Belleville, Paris

Adresse
Théâtre des Halles – Scène d’Avignon
4, rue Noël Biret
84000 Avignon

Informations complémentaires
Théâtre des Halles – Scène d’Avignon
www.theatredeshalles.com

Festival OFF d’Avignon
www.avignonleoff.com