Les Variations Silencieuses, mise en scène Marie Luçon et Geneviève Voisin © Fabrice Mertens
La narratrice Virginie explique qu’il y a 30 variations musicales à l’Aria de Bach et, au moins, 48 variations des caractéristiques sexuelles, des variations silencieuses celles-là (au niveau des chromosomes, des hormones, des glandes génitales, des organes reproducteurs ou d’autres caractéristiques sexuelles physiques)… d’où le titre de ce spectacle : Les Variations Silencieuses proposé par la compagnie belge Ah mon Amour ! La proposition audacieuse et engagée vise à sensibiliser le grand public sur la question de l’intersexuation et l’autodétermination (laisser l’individu faire ses propres choix quand il est en âge de comprendre) et les mutilations qui en découlent encore aujourd’hui. Encore peu ou mal connue, la question de l’intersexuation (qui n’est ni un handicap, ni une déficience physique chronique) concerne 1,7% de la population (1,2 million de personnes en France) selon l’OMS et sa méconnaissance génère souffrances et discriminations. Une variation intersexe est un phénomène naturel : les personnes naissent avec un corps qui ne répond pas à la définition normative et binaire d’un « homme » ou d’une « femme ». Ce qui les rend vulnérables aux tabous, à la stigmatisation sociale et à la discrimination, c’est pour eux une immense souffrance. Parfois ces variations apparaissent plus tardivement, souvent pendant la puberté (caractéristiques sexuelles secondaires).
Le spectacle est bien documenté, touchant et incisif, il traite d’un sujet complexe et tente de mettre fin à nos idées reçues à coups de préjugés (mais pas que). La compagnie Ah mon Amour ! a travaillé avec des personnes concernées et représentantes d’associations militantes les plus actives dans le domaine (Genre Pluriels, Intersexe Belgium). À travers des témoignages poignants et l’histoire fictive de Gaëlle, née de sexe indéterminé, que ses parents considèrent comme une fille mais qui développe des caractéristiques jugées plutôt masculines à l’approche de la puberté, le public a un bon éclairage sur la situation. Gaëlle fête ses douze ans autour d’une famille plutôt dans la norme à laquelle la comédienne Geneviève Voisin donne vie avec une drôlerie irrésistible et l’on rentre subtilement dans le vif du sujet. Cette réunion de famille est un prétexte pour « trancher » la question : faut-il opérer ou non Gaëlle ?
Il s’agit de donner à entendre la parole – vraie ou poétique – de celles et ceux que l’on a trop longtemps contraint.e.s à se taire et tenter de comprendre leur vécu et les revendications des personnes concernées et dénoncer les mutilations génitales, opérations présentées comme des « corrections » et traitements souvent inutiles et irréversibles (hormonaux, gonadectomies, opérations vaginales, etc…) pratiqués encore trop souvent aujourd’hui au nom de la normalisation, parfois sur des tout petits. Depuis les années 50, des protocoles médicaux sont prévus dans le cadre de ce que la médecine a appelé « troubles du développement sexuel ». Outre les violences sexuelles sur enfants et les mutilations occasionnées, il est à déplorer le manque de formation des médecins et plus généralement de tout le personnel (social, juridique,…) en contact avec des personnes intersexes de tous âges et leur entourage. L’idée est de faire avancer les droits des personnes intersexes.
Geneviève Voisin seule en scène est narratrice, parfois conférencière et sert des personnages truculents : face au mutisme de Gaëlle l’intersexuelle, les parents Xavier et Yvette sont en désaccord : le père veut opérer Gaëlle pour qu’elle reste une fille alors que la mère souhaiterait lui épargner une boucherie chirurgicale (scène ingénieusement illustrée avec un chapon copieusement charcuté sur la table de cuisine), la sœur pansexuelle et militante LGBTQIA+, l’oncle érudit et alcoolique, le frère macho et réactionnaire et une sœur bigote et botaniste. À coups de révélations, les masques tombent. Si le personnage de Virginie est plutôt candide et rassurante, la famille très typée prend des positions extrêmes engoncés dans leurs idéologies avec des réactions émotives qui frisent la caricature. Le ton est juste et la forme légère est traitée avec humour, transgression et autodérision. Pourtant les récits sont édifiants, les questions multiples et les problèmes exposés très sérieux et sans faiblir la comédienne Geneviève Voisin réussit avec brio à nous éclairer sur la situation avec une profusion de détails. Dans une présentation imagée du jardin d’Éden avec Adam et ÈÈve, elle illustre son exposé à coup de chromosomes et de caractères sexuels (barbe, poitrine,…). La comédienne rappelle la différence entre sexe (biologique inné), genre (acquis sociologique) et orientation sexuelle, invite à ne pas confondre intersexe et transgenre. La dramaturgie est forte et le spectateur est maintenu en haleine dans l’attente d’un dénouement final.
Gaëlle aura le mot de la fin :
Que je sois il ou elle,
qu’importe ! Moi ça va.
Je veux dire, mon corps et moi,
ça va. Héééééé, les gens,
je marche normal. Je mange normal.
Quand je plante mon nez
dans le ciel, tout est normal.
Quand je regarde la mer, ça va.
Les Variations Silencieuses s’est vu décerner le prix de la Ministre de l’Enseignement Secondaire francophone, à l’issue du festival des Rencontres Théâtre jeune public 2022 à Huy.
Un spectacle instructif, poétique, nécessaire qui touche notre conscience collective sur un thème particulièrement délicat et où chacun se fera sa propre opinion.
Les Variations Silencieuses, mise en scène Marie Luçon et Geneviève Voisin © Cie Oh mon Amour !
Informations pratiques
LES VARIATIONS SILENCIEUSES – Création 2021 – Compagnie Oh mon amour !
Festival OFF d’Avignon du 7 au 29 juillet 2023
Auteur(s)
Isabelle Wéry, Francesco Mormino, Marie Luçon et Geneviève Voisin
Mise en scène
Marie Luçon et Geneviève Voisin
Interprétation (en alternance)
Marie Luçon ou Geneviève Voisin
Avec l’aide précieuse de Carina Bonan et Sara Selma Dolores
Voix off de Gaëlle Lya Muradyan
Expert sur les questions intersexes Londé Ngosso (Genres Pluriels)
Scénographie Aurélie Deloche et Chloé Jacqmotte
Construction des décors Rudi Bovy, l’atelier Callahan, Daniel Voisin et Mecarudi
Réalisation des costumes et accessoires Bernadette Roderbourg
Création musicale (inspirée des Variations de Goldberg) Piotr Paluch
Montage son des témoignages Luna Gillet
Musique Extraits des Variations de Goldberg de JS Bach interprétés par Glenn Gould
Création lumières Martin Delval
Régie Benoît Vanderyse et Nicolas Poels
Production Compagnie Ah mon Amour !
Durée
1h15
Dates
Du 7 au 29 juillet 2023 à 13h20 Festival OFF Avignon au Théâtre Episcène, Avignon
26 décembre 2023 au Théâtre de la Vie, Bruxelles (Belgique)
18 et 19 janvier 2024 au Centre culturel de Namur (Belgique)
23 janvier 2024 à l’Espace Culturel Ronny Coutteure, Grenay (France)
2 février 2024 au Festival Momix, Kingersheim (France)
Du 5 au 7 février 2024 au Centre culturel de Beauraing (Belgique)
Le 11 juillet 2024 au Festival VTS – Vacances Theatre Stavelot (Belgique)
Le 13 juillet 2024 au Festival de l’Eau Vive à Bannans (France)
Le 22 novembre 2024 à l’Espace Culturel Robert Hossein, Merville (France)
Le 5 décembre 2024 au Palais des Congres et de la Culture, Loudeac (France)
Le 20 mars 2025 à L’avant-scène, Monfort-sur-Meu (France)
Les 25 et 26 mars 2025 à L’Odyssée, Périgueux (France)
Adresse
Théâtre Episcène
5, rue Ninon Vallin
84000 Avignon
Informations complémentaires
Théâtre Episcène
www.episcene.be
Festival OFF d’Avignon
www.avignonleoff.com
Compagnie Ah mon Amour !
www.cie-ahmonamour.com