Article de Justine Uro
Une histoire qui n’en est pas une
Devant un castelet, Denis Athimon nous annonce qu’il va nous raconter l’histoire de Bartleby. Il nous présente le guitariste côté jardin, et les marionnettes dont il va avoir besoin pour interpréter les personnages. Bartleby est un copiste de Wall Street qui travaille pour un huissier de justice. Taciturne et renfermé, il répond à chaque sollicitation par « Je préfèrerais ne pas » prononcé dans un souffle lointain. L’huissier semble pourtant avoir de l’affection pour Bartleby et vouloir comprendre ce rejet de toute activité ou discussion en dehors de son pur travail de copiste. Très appliqué dans son travail, Bartleby semble dénué de tout sentiment d’envie ou de lassitude. Il fait ce qu’il doit faire, ni plus ni moins. Rapidement l’action se déplace, et les trois comédiens ne se contentent plus de jouer de la guitare et de donner vie à des marionnettes ; ils incarnent eux-mêmes des personnages, leur propre personnage qui n’est pas dans l’environnement de Bartleby mais y ressemble. La frontière entre la réalité et le jeu n’est que faiblement perceptible. Où s’arrête la pièce ? Cette ambiguïté sera le fil rouge du spectacle.
© Cédric Vincensini
Julien, un des marionnettistes, ressemble étrangement à Bartleby. Il ne veut ni continuer ni partir. Il est en décalage, tel Bartleby avec ses collègues. Cette attitude, a priori incompréhensible, est sans doute la conséquence d’une dépression. S’ennuyer mais n’avoir envie de rien d’autre. Ce paradoxe reflète le sentiment de solitude et d’indifférence qui touche à un moment donné chaque être humain pourtant organisé en société.
Pour faire part de cette profonde angoisse de l’humanité, le décor est seulement constitué d’un castelet au centre de la scène, au-dessus duquel un soleil se lève et se couche, figurant la répétition des jours. L’esthétique des marionnettes est superbe, l’une est jouée par un des comédiens qui accroche le costume de la marionnette sous son cou. Les lumières participent pleinement à la pièce. Les comédiens créent un jeu avec le régisseur qui les oriente en fonction de leurs indications, éclairant même parfois la salle.
Bartleby, c’est une non-histoire qui raconte tant. C’est l’histoire de rien qui est l’histoire de tellement de gens. Ce que les comédiens créent autour du spectacle de marionnettes a autant d’importance que celui-ci. Ces toutes petites choses donnent une dimension encore plus forte à la non-histoire de Bartleby et révèlent la profondeur du propos. Car comment raconter la dépression, la solitude, l’indifférence autrement qu’avec ce rien ?
Bartleby : une histoire de Wall Street
Adaptation, mise en scène et interprétation Denis Athimon et Julien Mellano
Musique originale François Athimon
Lumière Alexandre Musset
Construction marionnettes Gilles Debenat et Maud Gérard
Régie son et lumière Antoine Jamet, Gwendal Malard ou Tugdual Tremel (en alternance)
Du 4 au 9 novembre 2016
Théâtre du Fil de l’eau
20 rue Delizy
93500 Pantin
http://www.ville-pantin.fr/les_salles_de_spectacle.html