« Benjamin Walter », mise en scène Frédéric Sonntag au Théâtre de Vanves

Article de Sébastien Scherr

Hymne à l’errance

Benjamin Walter a disparu. Jeune dramaturge prometteur, il s’est volatilisé dans la nature à Helsinki en 2011. Un autre jeune auteur de ses amis part à sa recherche un an et demi plus tard. Son producteur lui a commandé une pièce documentaire et il choisit de partir d’une enquête sur les traces de Benjamin Walter. Sa troupe restera à Paris et recevra des éléments parcellaires à mesure que son enquête progresse, à partir desquels ils commenceront les répétitions et le travail de création.

Benjamin.Walter-gaelic.fr_1© Galeic.fr

Œuvre très originale tant par son thème que par sa composition, Benjamin Walter est une pièce sur l’errance et l’écriture. Le narrateur, joué tour à tour par les différents comédiens, nous conte son périple à travers l’Europe et le long des méandres du cerveau embrumé de l’auteur disparu. De nombreuses vidéos viennent étayer ce photo-reportage qui nous emmène d’Helsinki à Lisbonne, en passant par Copenhague, Hambourg, Berlin, Prague, la Slovaquie, la Serbie… Ce voyage initiatique est également un voyage à travers la littérature : à commencer par Walter Benjamin, homonyme inversé du héros, auteur juif allemand qui s’est suicidé en 1940 dans les Pyrénées en fuyant le régime nazi. Puis Brecht, que ce dernier a rencontré à Copenhague ; Aby Warburg, qui avait conçu une bibliothèque au système de classement innovant, reposant sur le principe « du livre d’à côté » ; Kafka, parfaitement en phase avec cette construction labyrinthesque de la pièce ; Pessoa, qui vient clore (ou pas) le chemin du narrateur, qui se retrouve pour finir sur les traces de Walter dans la maison en face de la Casa Pessoa. À la manière du système de Warburg.

visuel_benjamin_walter© Gaelic.fr

Le texte est brillant, qui nous propose une écriture patchwork sur les traces d’un écrivain fantôme qui aurait lui-même écrit un livre vivant sur les murs des villes d’Europe, à lire exclusivement dans un cheminement aléatoire au gré d’une recherche de soi. Les autoréférences et les jeux de miroirs sont présents sans cesse : Benjamin Water, alter ego du narrateur, qui a son autre double dans l’auteur homonyme, redondance entre les personnages vus en vidéo ou joués par les comédiens, ressemblances ou affinités entre tous ces auteurs. « Percer les murs », les derniers mots de Benjamin Walter résonnent dans l’esprit du narrateur égaré, qui finira par admettre que la disparition de son ami constitue sa dernière œuvre. Tel le poète Jacques Rigaut disparu au large du Mexique, évoqué par Jean-Michel Ribes dans sa pièce « Par delà les marronniers ». Car le renoncement est avec l’errance l’un des thèmes forts de ce texte. Renoncer pour ne pas se laisser enfermer dans la routine d’un monde devenu fou. En signe de protestation.
La mise en scène est fouillée, avec un usage permanent d’images vidéo, photos, affiches qui viennent s’ajouter en surexposition de la composition qui naît peu à peu. Les riffs lancinants d’une guitare électrique bercent l’auditoire et lui permet de vagabonder avec le narrateur. Les acteurs sont très bien et relèvent le défi de jouer leur propre rôle tout en campant des personnages attachants. Leur jeu est cependant plus percutant dans les scènes vivantes que dans la narration trop linéaire et parfois soporifique. Un plus pour Marc Berman, truculent dans le rôle du producteur comme dans celui du poète clochard.
L’écriture peut sembler prolixe choisissant un format long de plus de trois heures quand l’essentiel eût pu être dit en moins de mots. Mais comment en vouloir à une œuvre qui installe l’errance comme mode d’écriture ? Une invitation à la sortie de route. Un jeu de pistes en hors-piste.
Une question demeure à la sortie du spectacle : Benjamin Walter a-t-il jamais existé ?

 

Benjamin Walter
Texte et mise en scène Frédéric Sonntag
Création vidéo Thomas Rathier
Création musicale Paul Levis
Création et régie lumière Manuel Desfeux
Scénographie Marc Lainé assisté de Lucie Cardinal
Costumes Hanna Sjödin
Régie son et régie générale Bertrand Faure
Régie plateau Raphaël Dupleix
Assistanat mise en scène Jessica Buresi
Avec Simon Bellouard, Marc Berman, Amandine Dewasmes, Clovis Guerrin, Paul Levis, Lisa Sans, Jérémie Sonntag, Fleur Sulmont, Emmanuel Vérité
Du 11 au 14 novembre 2015

Théâtre de Vanves
12, rue Sadi Carnot
92170 Vanves
www.theatre-vanves.fr