Un article de Paula Gomes
Les clownesses débarquent : récits inédits au cœur d’un régime
Quatre clowns reviennent de voyage et racontent leur séjour dans un pays isolé, sous la dictature la plus répressive au monde, la dynastie des Kim. Après la découverte amusée des rudiments de la langue et de la gastronomie, place à l’étonnement devant ce peuple qui voue une adoration divine à son leader mort. Les commémorations grandioses imposent disciplines, obéissance et peur. Le régime poursuit l’idéologie de l’autosuffisance entraînant famines et privations. L’étranger n’est pas libre, il suit un parcours précis dans ses déplacements sous surveillance. Contraint et face aux dangers, le clown, personnage naïf et sincère ose parler car il se moque des conventions, du pouvoir et du respect. Il est le porte-voix des faibles et des opprimés. Jeux de mots, humour et ironie dans ce parcours initiatique à travers un territoire mythique, à la propagande omniprésente, loin de toute forme artistique et individuelle. Les protagonistes s’identifient à la population, expriment leurs angoisses et tirent les leçons de cette expérience bouleversante. Pris à parti, le public entre en empathie et oscille entre rires et retenue. Un spectacle jouissif avec des comédiens émouvants et justes, à l’aise dans toutes les situations.
© Alban Van Wassenhove
Avec cette création, Olivier Lopez, directeur de la compagnie Actéa- La Cité/Théâtre poursuit son travail sur le clown contemporain. Après Pauline Couic en 2011 et Les clownesses en 2013, le clown est une nouvelle fois là où l’on ne l’attend pas, en Corée du Nord. Le voyage des comédiens leur a donné une nouvelle vision, appris rigueur et discipline. Imprégné de cette expérience, l’acteur-créateur construit un personnage proche de lui, un double avec des pulsions, des désirs et des angoisses. Les tenues fantaisistes des clowns sont aussi adaptées. Maladroit, le clown bouleverse l’ordre établi et devient révolutionnaire malgré lui. Il s’invente un monde sans loi où règne terreur et beauté. La direction des acteurs est bien menée. Le rythme se maintient, les numéros inattendus et les surprises ne manquent pas. La scénographie contribue à nous faire entrer dans ce pays aux multiples facettes et à donner la dimension de la farce. Les comédiens déjantés chantent, dansent et improvisent, ils savent toucher aussi bien dans la légèreté que la gravité. Pauline Couic est drôle et autoritaire. Brigitte a un problème d’élocution et ses réactions sont souvent inattendues. La belle Marion assume sa féminité mais peut aussi s’effacer… Pom, le grand gars maigre a du mal à se positionner. Ils n’ont peur de rien et dressent une image d’un pays hors du temps et de l’espace. Une tentative de comprendre le monde actuel et d’exposer les doutes et les peurs, un débat sur le réel à travers cette proposition décalée et touchante.
© Alban Van Wassenhove