« BLEUE » de Clémence Weill, et si nous cessions de nous laisser dévorer ?

Le premier texte de Clémence Weill, Pierre, Ciseaux, Papier, remporte le Grand Prix de littérature dramatique en 2014. Depuis, elle sillonne la France et l’Europe au gré de créations collectives, changeant de casquette – comédienne, metteuse en scène, autrice – selon les spectacles.

Avant même d’ouvrir la pièce et de tourner la première page, le regard se pose sur un triptyque en première de couverture : zoom sur une femme à la tête de vache. Sur la dernière photo, le cadre se resserre et la femme a disparu. La vache a pris toute la place. Le regard se pose alors sur le titre : Bleue. Il fera écho à une phrase écrite plus loin : « le sang n’était pas bleu. ».

Avec une langue évocatrice, qui ne se fige dans aucun registre, Clémence Weill nous livre un puzzle d’images appartenant au passé comme aux projections futures de l’Homme – un peu – et surtout de la Femme – beaucoup. Page après page, elle y rend hommage à de nombreuses femmes. Certaines sont célèbres ou l’ont été – Anaïs Nin, Françoise D’Eaubonne, Angélica Liddell, Jackie Kennedy, Niki de Saint Phalle, Rita Hayworth, Orlan, Valérie Mréjen, Marina Abramovic – d’autres inconnues – Blanche, une élève, sa mère – et d’autres mythiques – Ève, Lilith, la Lune, Mère Nature.

Bleuenn passe d’une image à l’autre, tantôt se faisant chevalier, tantôt couvant des œufs, tantôt… Elle traverse quatre cycles tous plus surprenant les uns que les autres tout en nous livrant souvenirs, chansons, poèmes, définitions, recettes, réflexions, exposés etc. Comme l’ensemble de ses pièces, Bleue s’appuie sur des recherches documentaires, des enquêtes de terrain et de rencontres. La pertinence s’en ressent. L’écriture est profondément scénique voire performative. Sans perdre en fluidité, on y retrouve rythme, costumes, personnages, actions scéniques, matière, lumière etc… L’envie pointe de sauter sur le plateau pour la mettre en vie.

Passant de l’intime à la vérité générale, le texte joue entre la frontière de la fiction et de la confidence et questionne la solidité de nos opinions. Pris au piège du collage et des contradictions, nous les remettons en lumière de la plus anecdotique à la plus conséquente. Jeux de mots et contrastes inattendus provoquent à dessein le rire pour oser confronter des sujets graves et sérieux. On y parle tampon et vibromasseur, Vierge et couilles de toro, péché originel et période de rut, désir et fécondation, amour et gavage, femme et bétail, sang des victimes et sang menstruel.

Vous l’aurez compris, la pièce tourne autour de la Femme dans toutes ses intimités et ses représentations. L’écriture change au rythme des perspectives avec l’humour et le décalage pour valeurs stables.

Finement construit, un texte à l’opposé d’une logique scénaristique efficace qui nous touche là où ça résonne.

Bleuenn & Rozae – patchwork, deuxième volet du diptyque initié avec Bleue, est en cours de création par la compagnie Serres Chaudes.

Informations pratiques

Auteur(s)
Clémence Weill

Prix
14 euros

Éditions Théâtrales
www.editionstheatrales.fr