"BOULE À NEIGE" de Mohamed El Khatib et Patrick Boucheron, Le miroir sublimé de nos vies minuscules

Boule à neige de Mohamed El Khatib et Patrick Boucheron © Yohanne Lamoulère – Tendance Floue

Walter Benjamin disait que « Le collectionneur établit la relation la plus profonde que l’on puisse entretenir avec les choses : non qu’alors elles soient vivantes en lui, c’est lui-même qui au contraire habite en elles ». Et Mohamed El Khatib d’ajouter qu’en apprenant que Walter Benjamin collectionnait les boules à neiges et qu’il en avait emportées dans ses valises en fuyant l’Allemagne nazie, il s’est dit qu’il fallait traiter le sujet avec beaucoup de sérieux … Et Patrick Boucheron d’ajouter qu’il ne serait néanmoins pas sérieux de ne pas jouer avec cette histoire, car il n’y a rien de plus sérieux qu’un enfant qui joue.

Et nous voilà, d’emblée, plongés dans la part enfantine de ce projet devenu spectacle pour notre plus grand bonheur. Au centre d’une petite arène démontable, tel un cirque de poupée posé sur la scène de la grande salle du théâtre d’Orléans, deux grands enfants à l’œil vif et au tendre sourire jouent aux conférenciers, à moins que ce ne soit l’inverse… Doctement, mais avec un grand sourire, ils nous parlent d’une chose grave et essentielle, la boule à neige ! L’un de ces gamins s’appelle Patrick Boucheron, un de nos plus grands historiens, professeur au collège de France, auteur, entre autres, de l’« Histoire mondiale de la France », l’autre, c’est Mohamed El Khatib, auteur, metteur en scène et réalisateur de terrain à l’écoute de ses contemporains. On se souvient, dans ce même théâtre d’Orléans, de « La dispute » où de jeunes enfants racontaient et jouaient la séparation de leurs parents.

Au cœur de l’arène, sur un petit socle central et autour d’eux, des boules à neige… De temps en temps, sur des écrans, des collectionneurs nous disent des choses essentielles. Par exemple que « la boule à neige sans le geste, ce n’est pas la boule à neige. Elle a besoin du geste. Si on la retourne, là elle est vivante »… Rires immédiats du public. Et pourtant, ne nous y trompons pas, il n’y a aucune ironie, ni aucune moquerie, dans ce spectacle qui tient, à la fois, de la performance, de la conférence, de la conversation, ou plutôt, d’un théâtre de l’intime qui s’adresse, dans une douceur raisonnée, à chacun des spectateurs.

Bien sûr, nos deux larrons jouent le jeu de la conférence. Nous plongeant dans les origines de cette boule à neige autour de l’année 1878 ou de l’expo universelle de 1889. Mais tout cela est un prétexte à jeu où chacun se renvoie la balle à la manière d’un numéro de clown. Patrick Boucheron dans celui de l’Auguste professeur et Mohamed El Khatib, dans celui du clown blanc, faux naïf au sourire timide. L’adresse au public est pour eux la chose essentielle, car, au plaisir du jeu, elle joint celui de la transmission et de la réflexion. Parfois à la limite de l’improvisation, ils le font dans l’alternance de l’exploration des sources, « des objets, des textes et des archives » et des moments plus personnels, inattendus, qui touchent à la sensibilité de chacun.

En fin de compte, ces boules à neige font partie de ces petits objets qui se trouvent sur la cheminée, ces petits trophées de la vie quotidienne que les notaires oublient dans les inventaires, et qui sont pourtant les traces indéfectibles de nos vies minuscules. Ceux qui les collectionnent sont peut-être les archéologues de nos enfances portatives. Alors, bon ou mauvais goût, peu importe. Ce qui compte, c’est le goût. Le goût de la vie.

Goût de la vie partagé par les spectateurs nichés au creux de la petite arène de bois, souriant aux anges à l’écoute de nos vrais / faux conférenciers qui nous donnent une démonstration hilarante de ce que donneraient, en 4720, les conclusions des archéologues ayant retrouvé quelques spécimens de boules à neige qui, pour nous ressemblent à Venise ou à Jeanne d’Arc sous les flocons… Moments d’humour, d’émotion, de tendresse et de réflexion sur notre devenir, comme sur l’histoire récente de notre humanité. Une biosphère qui tient dans le creux de la main, où l’infiniment petit rejoint l’infiniment grand, comme cette belle soirée de théâtre.
Un spectacle à suivre et à ne pas manquer !

1_BOULE A NEIGE Yohanne Lamoulère - Tendance Floue

Boule à neige de Mohamed El Khatib et Patrick Boucheron © Yohanne Lamoulère – Tendance Floue

Informations pratiques

BOULE À NEIGE – Création octobre 2020

Auteur
Mohamed El Khatib et Patrick Boucheron
Texte de la pièce aux éditions Les Solitaires Intempestifs

Conception et réalisation
Mohamed El Khatib et Patrick Boucheron

Assistanat de projet Vassia Chavaroche
Scénographie Fred Hocké
Image Zacharie Dutertre
Montage Emmanuel Manzano
Régie générale Jonathan Douchet
Régie en tournée Arnaud Léger
Production Martine Bellanza