« BY HEART » de Tiago Rodrigues, Remettre à l’honneur une pratique ancestrale ?

By Heart de Tiago Rodrigues aux éditions Solitaires Intempestifs, une pièce créée en France en 2014, au théâtre de la Bastille. Présentée au Festival d’Avignon en juillet 2023, dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes.

Tiago Rodrigues nous offre ici une rêverie autour de cette pratique que la modernité a contestée et qui pourtant, se justifie…
Le dispositif est simple : un plateau nu sur lequel sont disposées dix chaises vides au début.
Dix spectateurs – pas des comparses – sont invités à y prendre place. Le pari : faire en sorte que ces personnes quittent la scène en connaissant par cœur le sonnet trente de Shakespeare. La pièce durera jusqu’à ce que le sonnet soit su.

Drôle de pari ! À une époque où le par cœur a été banni dans les écoles comme activité inintelligente qui prend les élèves pour des perroquets, voilà qu’un dramaturge prétend faire apprendre un sonnet en une soirée et qui plus est, en public. Quelle mouche l’a donc piqué ?
En fait, il ne s’agit pas seulement d’un pari sur les capacités humaines de mémorisation. Il s’agit d’évoquer ces cas émouvants ou dramatiques où l’apprentissage par cœur devient vital.

On sait que les poèmes de Mandelstam ont été sauvés par son épouse qui les a appris, transmis à dix amis qui eux-mêmes les ont transmis par cœur à dix personnes chacun, lesquelles personnes… de cette manière, dans un pays où toute trace écrite vous mettait en danger, l’œuvre fut sauvée en volant de bouche à oreille dans le pays puis au-delà des frontières…

Tiago fait appel à Georges Steiner De la beauté et de la consolation dans lequel il relate un congrès des écrivains soviétiques en 1937, au cours duquel Boris Pasternak était en grand danger d’être assassiné. Si tu parles, ils te tueront pour dissidence, si tu ne parles pas, ils te tueront pour avoir affiché un mépris ironique. Le troisième jour, enfin, Pasternak se leva et il ne dit qu’un mot : TRENTE. Et toute la salle se leva à son tour et récita le sonnet trente de Shakespeare, qui était si connu des Russes qu’ils étaient nombreux à le penser russe… C’est ce par cœur-là qui a sauvé Pasternak.

Plus personnel, Tiago raconte l’amour qu’avait sa grand-mère pour les livres. Il lui en apportait de pleins cageots quand il venait la voir dans sa maison de retraite. Mais un jour, elle lui annonça qu’elle était irrémédiablement condamnée à devenir aveugle. Elle ne pourrait plus lire, elle demanda donc à Tiago de lui recommander un livre à apprendre par cœur et qu’elle pourrait relire en son cœur jusqu’à la fin de ses jours…
Et bien sûr, on en arrive à Fahrenheit 451, ce roman d’anticipation dans lequel les résistants deviennent des hommes-livres dans un pays où lire est interdit.

Et nos apprenants, quand apprennent-ils ? eh bien, on leur fait répéter les vers du poète entre deux évocations… et la pièce se termine par la récitation collective du sonnet par les dix spectateurs, récitation que reprend Tiago en portugais, comme un cadeau.
Merci, dit-il simplement.

Merci à lui qui, dans son immense générosité fait aux spectateurs ce cadeau inestimable : la confiance dans la poésie et dans les capacités de tous.

Informations pratiques

Auteur(s)
Tiago Rodrigues

Prix
9 euros

Éditions Les Solitaires Intempestifs
www.solitairesintempestifs.com