« Et la cantatrice chauve ? Elle se coiffe toujours de la même façon. » C’est un peu ça. Voilà qui résume assez bien à la fois l’anti-pièce, fondatrice du théâtre de l’absurde, pionnière du non-sens total au plateau, ainsi que la mise en scène de Jean-Luc Lagarce, probablement l’un des seul metteurs en scènes assez cintrés pour réussir un tel tour de force. Parce que c’est ça qui marche. Arrêter de chercher le sens. Même le jeu des comédiens n’en a aucun. On se perd dans cette mélasse de banlieue anglaise, et en abandonnant l’intellect classique, on rit tout le temps sans jamais savoir trop pourquoi. Lagarce entraîne Ionesco dans un théâtre encore plus absurde que le texte ne le suppose (ce qui n’est pas rien), et, dans un décor et une ambiance qui rappelle très fortement une pièce de boulevard ou un classique feuilleton américain, détruit toute logique possible, sans jamais perdre une certaine puissance émotionnelle. En effet, on suit les différents personnage dans leur évolution, sans évidemment trop savoir où elle va. À aucun moment on ne les lâche. Et pourtant ce n’est pas seulement une comédie. Plusieurs éclairs fugaces chez les comédiens transmettent au public un sentiment de désespoir, de chaos, dans lequel leurs personnages, ou eux-même, progressent. Ou tournent en rond. Le spectateur finit par créer son propre sens, sa propre histoire, avec ce qu’il croit distinguer de cohérent, que ce soit dans le texte ou la mise en scène, le perd, en construit un autre, etc. La force de la mise en scène de Lagarce réside dans l’acceptation de la folie de Ionesco. Et de sa position. Quand on parle, c’est en premier lieu pour faire du bruit avec sa bouche. Pour cacher le silence, et faire paraître vivante cette soirée banale de la banlieue londonienne, dont les couleurs flashy nous empêchent d’y voir le vide. C’est l’osmose évidente qui règne entre les deux créateurs qui rend cette absurdité évidente.
Petit bémol toutefois, dans une époque où le théâtre à évolué vers un jeu plus réaliste, voire naturaliste par moments, la direction conservée des comédiens peut par endroits leur conférer un léger côté rébarbatif, notamment par un manque de virulence dans certaines ruptures, malgré une technique et une incarnation indiscutables.
Re-créé une dernière fois 27 ans après sa première représentation avec sa distribution d’origine, ce spectacle constitue un magnifique hommage au metteur-en-scène disparu. Coup de folie géniale à l’époque, il n’en reste pas moins troublant, hilarant et passionnant aujourd’hui.
Informations pratiques
Auteur(s)
Eugène Ionesco
Mise en scène
Jean-Luc Lagarce
Avec
Mireille Herbstmeyer, Jean-Louis Grinfeld, Marie-Paule Sirvent, Emmanuelle Brunschwig, Olivier Achard, Christophe Garcia / François Berreur (en alternance)
Dates
Du 17 janvier au 3 février 2018
Durée
1h30
Adresse
Athénée Théâtre Louis Jouvet
Square de l’Opéra Louis-Jouvet
7, rue Boudreau
75009 Paris
Informations et dates de tournée
www.athenee-theatre.com